Traité de metaphisique
- Introduction
-
Text
- Traité de metaphisique
- [Dedication]
- Doutes sur l’homme, introduction
- Chapitre premier Des differentes especes d’hommes
- Chapitre 2e S’il y a un dieu
- Sommaire des raisons en faveur de l’existence de dieu
- Difficultés sur l’existence de dieu
- Reponse à ces objections
- Consequences necessaires de l’opinion des materialistes
- Chapitre 3e. Que toutes les idees viennent par les sens
- Chapitre 4e. Qu’il y a en effet des objets exterieurs
- Chapitre cinq Si l’homme a une ame et ce que ce peut etre
- Chapitre sixieme Sy ce qu’on apelle ame est immortelle
- Le lecteur aura besoin icy d’unpeu d’attention
- Chapitre sixieme Si l’homme est libre
- Chapitre 7 De l’homme consideré comme un homme sociable
- Chapitre 8 De la vertu, et du vice
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Du Châtelet, Émilie: Traité de metaphisique. The Saint Petersburg Manuscripts. A Critical and Historical Online Edition (2020-2023). Edited by Ruth E. Hagengruber, Andrew Brown, Stefanie Ertz, Ulla Kölving, with an English translation by Linda Gardiner.
Edition Principles
Electronic edition provided by the Center for the History of Women Philosophers and Scientists, University of Paderborn, in cooperation with the National Library of Russia, Saint Petersburg, and the Centre international d’étude du XVIIIe siècle, Ferney-Voltaire.
Transcription, encoding, annotations by Andrew Brown and Ulla Kölving, with the collaboration of Stefanie Ertz.
Presentation
Voltaire’s letters from Cirey in the 1730s include a number of references to a work in progress on metaphysics. In a letter to Cideville that can be dated between October and November 1734 (D799), Voltaire states that he has “un petit traité de métaphysique tout prest”. A year later (D935), he mentions “mon petits cours de métaphysique” while in April 1736 he announces to his friend Formont the despatch of his “rêveries métaphysiques”. In January 1737, Voltaire tells Frederick II that he will be sending him “un manuscript que je n’oserois jamais montrer qu’à un esprit aussi dégagé des préjugés [...] que vous l’êtes”. Émilie Du Châtelet identified this work as “une métaphysique” which could “faire brûler son homme” (D1265) and took steps, largely successful, to frustrate Voltaire’s wish to share it with Frederick. We cannot necessarily identify the texts mentioned in the correspondance with the Traité de métaphysique published here but it is probable that all formed part of the same project, linking themes from the Lettres philosophiques and the Éléments de la philosophie de Newton with Émilie Du Châtelet’s work, notably De la liberté, the Institutions de physique and her translation of Mandeville and its accompanying commentary.
But who is the author of the Traité de métaphysique? The Saint Petersburg manuscript, transcribed by a copyist on half of the page, was intended to be revised and/or annotated. All the subsequent revisions and annotations are in the hand of Émilie Du Châtelet, and none in that of Voltaire. On the other hand, the dedication, deleted in the manuscript, leaves little doubt about the identity of the author:
L’auteur de la metaphisique
que l’on aporte a vos genoux
merita d’etre cuit dans la
place publique
mais il ne brula que pour vous
One possibility is that Voltaire was indeed the author of the original text and that he invited Émilie Du Châtelet to comment on the draft. Another, more plausible, is that both worked on the text, together or successively, and that Émilie Du Châtelet was the last to loose interest in it. Her interventions fall into four categories:
1. Corrections of errors. For example, “essentielle” for “essentiel”, “proposition” for “propositions”, “se” pour “ce”.
2. Improvements. For example, “leur repondre plus serieusement” for “répondre plus serieusement à ces messieurs”...
3. Comments. Émilie Du Châtelet’s first and longest marginal intervention occupies the right-hand half of pages 11 through 19. It bears no mark relating it to the text and begins “il me semble qu’on ne peut faire que des sophismes et dire des absurdités quand on veut se forcer de nier la nécessité d’un être existant par lui-même”. The third, on pages 58 and 59, is not marked as an addition and begins "mais”, in apparent contradiction to the text.
4. Additions. The second marginal intervention, of just 13 lines on page 20, is marked # as an addition to the text. The fourth and last falls on page 85 and is also marked as an addition.
Most of the corrections and interventions, including those in the third category, are assimilated into the Kehl text, which is therefore an uncomfortable amalgamation of incompatible elements.
Manuscripts
MS1. Copy corrected and completed by Émilie Du Châtelet. National Library of Russia, Saint Petersburg, Department of manuscripts, Erm. fr. 18.
A volume of 49 leaves, 23.5 x 18.6 cm, bound in eighteenth-century full calf with the remains of a spine label “Metaphysique”. The Dutch paper, watermarked “Gerrevink”, is the same as that used for the Mandeville preface [which one]. The text of the Traité is in the hand of one scribe while the table of contents and the title-page are in the hand of a second, also to be found in other Du Châtelet manuscripts. The text is written on the left-hand half of the page, the other half containing corrections, additions or comments by Émilie Du Châtelet, some extensive. There is no trace of interventions by Voltaire.
The table of contents is written on the verso of the fly-leaf, the title “Traité de metaphysique” on the recto of an unpaginated leaf preceding the text, the pages of which are numbered 1-3, 3 again, 4-92. Additions or comments by Émilie Du Châtelet appear on pages 11-20, 58-59 and 85.
Page 14 is numbered “10” at the foot of the page, page 34 “20”, page 54 “30”, page 74 “40”, page 92 ”49”. This numbering may have served to justify the cost of preparing the copy.
Two chapters are numbered 6 and the second starts on a new page, suggesting that two sources were brought together.
MS2. Copy based directly or indirectly on MS1 and which silently assimilates Émilie Du Châtelet’s interventions. Present whereabouts unknown.
This copy was made or retained by Voltaire’s secretary, Sébastien G. Longchamp, and was sold by him to Beaumarchais in 1781. Beaumarchais purchased the manuscript on his own account, it is therefore possible, even likely, that it remains in the Beaumarchais family archives.
Editions
Kehl Voltaire, Traité de métaphysique, Œuvres complètes de Voltaire, [Paris], Société littéraire-typographique, 1784-1789, vol. 32, 1784 [1787], p. 13-76.
The Kehl edition (named afer its place of printing), no doubt based on MS2.
Voltaire, Traité de métaphysique, ed. H. Temple Patterson, Manchester, Manchester University Press, 1937.
Barber Voltaire, Traité de métaphysique, ed. W. H. Barber, OCV, vol. 14, 1989, p. 357-503.
Based on the Kehl edition, the only version known at the time.
Brown & Kölving Andrew Brown and Ulla Kölving, “Qui est l’auteur du Traité de métaphysique?”, Cahiers Voltaire 2, 2003, p. 85-93.
Publishes the text of Émilie Du Châtelet’s interventions.
The “Avertissement des éditeurs” of the Kehl edition
This introductory text to volume 32 of the Kehl edition (p. [3]-12) was probably composed by Condorcet.
Avertissement des éditeurs
Nous avons rassemblé dans une seule partie les ouvrages de M. de Voltaire qui ont pour objet la métaphysique, la morale & la religion.
Le premier, intitulé Traité de métaphysique, n’a jamais été imprimé; il avait été composé pour Mme la marquise du Châtelet à qui M. de Voltaire l’offrit avec cet envoi:
L’auteur de la
métaphysique
Que l’on apporte à vos
genoux,
Mérita d’être cuit dans la place publique,
Mais il ne brûla que pour vous.
Cet ouvrage est d’autant plus précieux, que n’ayant point été destiné à l’impression, l’auteur a pu dire sa pensée toute entière. Il renferme ses véritables opinions; & non pas seulement celles de ses opinions qu’il croyait pouvoir développer sans se compromettre.
On y voit qu’il était fortement persuadé de l’existence d’un être suprême, & même de l’immortalité de l’ame; mais sans se dissimuler les difficultés qui s’élèvent contre ces deux opinions, & qu’aucun philosophe n’a encore complètement résolues.
La métaphysique est la seule partie de la philosophie qui ait été cultivée en Europe dans les siècles d’ignorance, parce que sa liaison avec les études théologiques ne permit pas de la négliger; & l’on doit aux scolastiques la justice d’avouer que nous avons appris d’eux à employer dans la philosophie des définitions précises, à suivre une marche régulière, à classer nos idées, & même à en faire l’analyse quoique leur méthode pour cette analyse ait été défectueuse. Le sage Locke nous enseigna la véritable méthode; mais à peine son ouvrage fut-il connu, que frappés des vérités utiles qu’il renferme, convaincus par lui des bornes étroites où la nature nous a resserrés, dégoûtés enfin pour jamais de tous les vains systèmes dont il leur avait montré le vide ou l’extravagance, la plupart des philosophes crurent que Locke avait dit tout ce qu’on pouvait savoir; qu’il n’y avait rien de plus à trouver en métaphysique, & qu’il fallait se borner à l’entendre & à l’éclaircir.
Cette opinion devenue presque générale nous paraît peu fondée. La métaphysique n’est que l’application du raisonnement aux faits que l’observation nous fait découvrir en réfléchissant sur nos sensations, nos idées, nos sentimens; & personne ne peut supposer que tous ces faits aient été observés, analysés, comparés entr’eux. Il serait même peu philosophique de regarder comme invariables les bornes que Locke a données à l’esprit humain. Il en est de la métaphysique comme des autres sciences, dont elle ne diffère que par son objet, & non par sa certitude ou par sa méthode. On peut dire de chacune: voilà ce à quoi, dans l’état actuel des lumières, l’esprit humain peut espérer de parvenir; s’il creuse plus avant, il court risque de se perdre. Mais il serait téméraire de fixer la limite de ce qui sera possible un jour.
La manière dont nos passions naissent, se développent, se changent en véritables habitudes, sont exaltées par l’enthousiasme, abandonnent leur objet pour s’attacher à ce qui ne peut être considéré que comme un moyen; les effets de cette erreur qui n’est point seulement personnelle, mais qui embrasse quelquefois des siècles & des nations entières:
La nature de l’évidence, de la probabilité, & les moyens d’en évaluer les différens degrés dans les différens genres de nos connaissances:
La véritable origine de nos idées morales; le degré de précision dont elles sont susceptibles; les vérités générales & indépendantes de l’opinion qui en résultent; la méthode de tirer de ces vérités des conséquences qui embrassent toute l’étendue de la législation & de l’administration politique, sans presque rien laisser d’arbitraire à décider par des vues d’utilité particulière ou d’intérêt local & passager:
Les phénomènes de la mémoire & de la liaison des idées, sur lesquels il nous reste encore tant de choses à découvrir:
La différence qui sépare par des nuances infiniment petites, l’état de veille, celui de sommeil, le sommeil plus profond des rêves, la méditation même de l’état de veille ordinaire où l’ame est ouverte aux impressions des objets extérieurs; les phénomènes que présentent ces différens états qu’il faut comparer avec ceux d’évanouissement, d’apoplexie, de mort apparente:
La manière de concilier la simplicité de l’âme, qui paraît prouvée par le sentiment du moi, avec cette foule de phénomènes qui semblent annoncer qu’elle est en quelque sorte une espèce de résultat de l’organisation, & surtout avec ces expériences sur les animaux, qui montrent qu’un être coupé en deux, en trois, forme autant d’êtres vivans séparés, à chacun desquels appartient, dès cet instant, un moi distinct du moi général, qui semblait appartenir à la réunion de toutes ces parties:
Les questions relatives à la liberté, à la nature de nos opérations, questions qu’une analyse plus exacte de nos idées peut résoudre en nous apprenant, non à tout expliquer, mais à bien nous entendre & à distinguer ce qu’il nous reste à chercher ou ce qu’il faut se résoudre à ignorer:
L’examen de la question si importante de la perfectibilité indéfinie de l’esprit humain, envisagée non-seulement comme la suite de la perfection des méthodes, de l’étendue toujours croissante de la masse des vérités connues, mais comme une perfectibilité vraiment physique:
Les questions enfin qu’on peut se proposer sur la permanence des ames, sur la fin qu’on croit apercevoir dans l’univers, l’examen de l’espèce de probabilité qu’on peut acquérir fur ces questions dont la solution directe nous échappe; & des moyens de parvenir à ce degré de probabilité, ou d’en approcher:
Tous ces objets & bien d’autres encore offrent aux métaphysiciens de grandes recherches à faire; recherches qui seraient utiles, puisqu’elles conduiraient toutes à mieux connaître l’esprit ou le cæur humain, & les moyens de mieux diriger l’éducation, d’en étendre l’influence & les effets, de perfectionner & d’améliorer l’espèce humaine. Nous sommes donc bien éloignés de l’opinion fi commune qui fait regarder la métaphysique comme une science inutile, vaine, presque dangereuse pour les progrès de l’esprit humain.
Aux écrits de M. de Voltaire sur la métaphysique, succèdent les nombreux ouvrages dans lesquels il combat la religion chrétienne. Nous ne nous sommes permis aucune réflexion sur ce dernier objet.
Nous nous bornerons à observer que s’il y a quelque vérité bien prouvée en morale, c’est qu’aucune erreur générale & durable ne peut être utile à l’espèce humaine, & que si une erreur particulière ou passagère peut l’être à quelques individus, ce n’est point l’ordre naturel des choses, mais les anciennes erreurs des hommes qu’il en faut accuser.
Cette vérité, & l’opinion qui fait regarder l’espèce humaine comme susceptible d’être perfectionnée, sont la base nécessaire de toute philosophie. Si en effet les hommes sont destinés à des alternatives éternelles de lumières & de ténèbres, de paix & de brigandage, de bon sens & de folie, dès-lors l’homme de bien est réduit à s’abandonner à cet ordre nécessaire, & ses devoirs se borneront à rester dans le point où il se trouve placé, en y fesant le moins de mal qu’il lui est possible. Si l’erreur est nécessaire aux hommes, s’il faut les tromper pour qu’ils ne dégénèrent point en bêtes féroces, alors l’homme éclairé, qui a un esprit juste & un cæur droit, se mêlera-t-il à la troupe des imposteurs ? Non, sans doute; il gémira d’être réduit à ne vivre que pour lui-même. Une vie tranquille, inactive, deviendra donc le partage de tous ceux à qui la nature aura donné des talens & des vertus, & elle-même aura rendu inutiles les plus beaux de ses dons.
Mais si l’erreur ne peut être d’une utilité générale, tout homme a le droit, tout homme est même strictement obligé de combattre ce qu’il regarde comme des erreurs. Ceux qui croient qu’un auteur se trompe en s’élevant contre les opinions générales, doivent le réfuter, mais en respectant ses intentions & sa personne; toute démarche pour empêcher certains ouvrages d’être lus & de se répandre, devient & un crime contre les droits de la raison humaine, & un aveu secret du peu de confiance qu’on a dans les preuves des opinions qu’on professe.
On trouvera dans les différens écrits théologiques de M. de Voltaire beaucoup de répétitions, & quelques contradictions apparentes.
Ces contradictions n’ont d’autre cause que la liberté plus ou moins grande avec laquelle il a cru devoir se permettre d’établir ses opinions. Toutes les fois qu’un écrivain ne peut dire sous son nom tout ce qu’il croit être la vérité, sans s’exposer à une persécution injuste, les ouvrages qu’il publie doivent être lus & jugés comme des ouvrages dramatiques. Ce n’est point l’auteur qui parle, mais le personnage sous lequel il a voulu se cacher. L’obligation de dire la vérité aux hommes, de ne jamais les tromper, est toujours la même; mais chaque forme d’ouvrage est susceptible d’une vérité différente. On peut être de bonne ou mauvaise foi dans un roman comme dans une histoire, dans une tragédie comme dans un livre de morale; mais ce n’est point de la même manière.
Quant aux répétitions, tous ces ouvrages ont été publiés à part & successivement; ils se répandaient difficilement & avec lenteur dans la capitale, dans les provinces, dans plusieurs Etats de l’Europe, où les opinions nouvelles étaient saisies aux portes des villes comme des marchandises prohibées, & où des hommes chargés de ce qu’ils appelaient la police des livres, s’étaient arrogé le droit de penser pour le reste de leurs concitoyens. Souvent ceux entre les mains de qui tombait par hasard un de ces ouvrages, n’avaient pu connaître les autres: il n’était donc point inutile d’y répéter les mêmes choses.
Quand il s’agit de combattre des opinions reçues, la vérité qu’on y oppose, si elles sont fausses, ne dissipe point l’erreur à l’instant où cette vérité se montre; il faut la présenter souvent, & sous des faces différentes, si l’on veut l’établir ou la répandre. Un seul ouvrage suffit à la réputation d’un auteur, mais il en faut plusieurs pour consommer la révolution qu’on veut opérer dans les esprits. Or ce ne peut jamais être la vanité d’auteur, de philosophe, qui engage à combattre les croyances religieuses; elles sont par leur nature ou divines ou absurdes; il est impossible par conséquent à un homme sensé de mettre quelque amour-propre à ne les pas croire.
Le dernier des écrits contenus dans cette collection est intitulé, Histoire véritable de l’établissement du christianisme: il n’a jamais été publié; une partie seulement était imprimée à la mort de l’auteur. Le reste s’est trouvé dans ses papiers écrits de sa main; l’on peut regarder cette histoire comme son dernier ouvrage, & les maximes qui le terminent comme ses derniers sentimens & ses derniers væux pour le bonheur de l’humanité.
References
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Bernard Le Bouvier de Fontenelle, Œuvres diverses de M. de Fontenelle, de l’Académie françoise. Nouvelle édition augmentée, Paris, Michel Brunet, 1724.
Gardiner Linda Gardiner Janik, “Searching for the metaphysics of science: the structure and composition of madame Du Châtelet’s Institutions de physique, 1737-1740”, Studies on Voltaire 201, 1982, p. 85-113.
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Sergueï Karp, Quand Catherine II achetait la bibliothèque de Voltaire, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 1999.
Kehl Œuvres complètes de Voltaire, [Paris], Société littéraire-typographique, 1784-1789, vol. 32, 1784 [1787], p. 13-76.
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John Locke, An essay concerning human understanding. In 4 books. Written by John Locke, Gent. The 6th edition, with large additions, London, printed for A. and J. Churchill and S. Manship, 1710 (BV 2149).
Locke John Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, Amsterdam, Henri Schelte, 1723.
John Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, Voltaire had in his library an edition of 1758 (BV 2150)
John Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, où l’on montre quelle est l’étendue de nos connoissances certaines, et la manière dont nous y parvenons. Par M. Locke. Traduit de l’Anglois par M. Coste, Seconde Edition, revûë, corrigée, & augmentée de quelques Additions importantes de l’Auteur qui n’ont paru qu’après sa mort, & de quelques Remarques du Traducteur, Amsterdam, Pierre Mortier, 1729, 2 vol.
Nicolas Malebranche, De la recherche de la vérité où l’on traite de la nature de l’esprit de l’homme, & de l’usage qu’il en doit faire pour éviter l’erreur dans les sciences. 5e édition revue & augmentée de plusieurs éclaircissements, Paris, M. David, 1700, 3 vol.
Nicolas Malebranche, De la recherche de la vérité où l’on traitte de la nature de l’esprit de l’homme, & de l’usage qu’il en doit faire pour éviter l’erreur dans les sciences. 7e édition, revue & augmentée de plusieurs éclaircissements, Paris, C. David, 1721, 4 vol.
Principes Isaac Newton, Émilie Du Châtelet, Principes mathématiques de la philosophie naturelle. La traduction française des Philosophiae naturalis principia mathematica, édition critique du manuscrit par Michel Toulmonde, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2015, 2 vol.
Principia Isaac Newton, Philosophiae naturalis principia mathématica, 3rd ed., Londini, 1726.
Recueil de diverses pièces, sur la philosophie, la religion naturelle, l’histoire, les mathématiques, &c. Par Mrs. Leibniz, Clarke, Newton, & autres auteurs célèbres, Amsterdam, H. Du Sauzet, 1720. 2 vol. (BV 2889).
D Voltaire, Correspondence and related documents, OCV, vol. 85-135, 1968-1977.
OCV Voltaire, Œuvres complètes, Genève, Banbury, Oxford, 1968-2021.
Discours en vers Voltaire, Discours en vers sur l’homme, ed. Haydn T. Mason, OCV, vol. 17, p. 389-535.
Voltaire, Lettres philosophiques, ed. Olivier Ferret and Antony McKenna, Paris, Classiques Garnier, 2010.
Wade 1947 Ira O. Wade, Studies on Voltaire with some unpublished papers of Mme Du Châtelet, Princeton, Princeton University Press, 1947.
* * * * *
Table des chapitres
Dédicace 1
Introduction, Doutes sur
l’homme 1
Chapitre premier. Des différentes espèces
d’hommes 4
Chap. 2. S’il y a un
Dieu 8
Chap. 3. Toutes les idées viennent par les
sens 28
Chap. 4. Qu’il y a en effet des objets
extérieurs 36
Chap. 5. Si l’homme a une ame, et ce que
ce peut estre 43 [?]
[Chap. 6. Sy ce qu’on apelle ame
est immortelle] [54]
Chap. 6 [7]. Si l’homme est
libre 60
Chap. 7 [8]. De l’homme considéré comme un
être sociable 74
Chap. 8 [9]. De la vertu et du
vice 81
Traité de metaphisique
[Dedication]
[1]
MS1:
[del. EDC?]
<L’auteur de la metaphisique
que l’on aporte a
vos genoux
merita d’etre cuit dans la place
publique
mais il ne brula que pour vous>
Kehl: Introduction. Doutes sur l’hommeDoutes sur l’homme, introduction
Peu de gens s’avisent d’avoir une notion bien entendue de ce que c’est que l’homme. Les paysans d’une partie de l’Europe n’ont gueres d’autre idée de notre espece que celle d’un animal à deux pieds ayant MS1: un [corr. eds.] une peau bize[,] articulant quelques paroles, cultivant la terre, payant sans savoir pour quoy MS1: certain [corr. eds.] certains tributs à un autre animal qu’ils apellent roy[,] vendent leurs denrées le plus cher qu’ils peuvent, et s’assemblant certains jours de l’année pour chanter des prieres dans une langue qu’ils n’entendent point[.]
Un roy, regarde assez toute l’espece humaine comme des êtres faits pour obeir à luy et à ses semblables. Une jeune Parisienne qui entre dans le monde, n’i voit que ce qui peut servir à sa vanité[,] et l’idée confuse qu’elle a du bonheur et le fracas de tout ce qui l’entoure empeche son ame d’entendre la voix de tout le reste de la nature. MS1: Une [corr. eds.] Un jeune Turc dans le silence Kehl: dud’un serail, regarde les hommes comme des êtres superieurs[,] obligéz [2] par une certaine loy Kehl: à coucher tous les vendredistous les vendredis à coucher avec leurs esclaves[,] et son imagination ne va pas beaucoup au delà. Un pretre distingue l’univers entier en eclesiastiques et en laïques et il regarde sans difficulté la portion eclesiastique, comme la plus noble et faitte pour conduire l’autre &c.
Sy on croioit que les philosophes eussent des idées plus complettes de la nature humaine, on se tromperoit beaucoup[,] car sy vous en exceptez Hobbes, Locke, Descartes, Bayle et un tres petit nombre d’esprits sages, tous les autres se font une opinion particuliere sur l’homme[1] aussy resserrée que celle du vulgaire et seulement plus confuse[.] Demandé au pere Mallebranche ce que c’est que l’homme, il vous repondra que c’est une substance faite à l’image de dieu, fort gatée depuis le peché originel, cependant plus unie à dieu qu’à son corps, voyant tout en dieu, pensant[,] sentant tout en dieu &c.[2]
Pascal regarde le monde entier comme un assemblage de mechants et de malheureux crées pour etre damnez[,] parmi lesquels cependant dieu a choisi de toute eternité quelques ames, c’est à dire une sur cinq ou six millions[,] pour etre sauvée.[3]
L’un dit, l’homme est une ame, unie [3] à un corps, et quand le corps est mort, l’ame vit toute seule pour jamais.[4]
L’autre assure que l’homme est un corps qui pense necessairement[5] et ni l’un ny l’autre ne prouve ce qu’ils avancent.
Kehl: [no new paragraph]Je voudrois dans la recherche de l’homme, me conduire comme je fais dans l’etude de l’astronomie. Ma pensée se transporte quelque fois hors du globe de la terre[,] de dessus laquelle tous les mouvemens celestes paroitroient irreguliers et confus[.] Et apres avoir observé le mouvement des planettes comme sy j’etois dans le soleil[,] je compare Kehl: les mouvemens apparensensuite les aparences des mouvemens que je vois sur la terre avec les mouvemens veritables, que je verrois sy j’etois dans le soleil[.][6] De meme je vais tacher en etudiant l’homme de me mettre d’abord hors de sa sphere et hors d’interest, et de me defaire de tous les prejugez d’éducation, de patrie, et surtout des prejugez de philosophe.
Je suppose par exemple que né avec la faculté de penser, et de sentir que j’ay presentement, et n’ayant point la forme humaine, je decends du globe de Mars ou de Jupiter. Je peux porter une vue rapide sur tous les siecles[,] tous les pays et par consequent sur toutes les sottises de ce petit globe.[7]
[3 [bis]] Cette supposition est aussy aisée à faire pour le moins que celle que je fais, quand je m’imagine etre dans le soleil pour considerer de là les MS1: <quatorze> seize [corr. sup. EDC] seize planettes[8] qui roulent regulierment dans l’espace au tour de cet astre.
[4]
Chapitre premier
Des
differentes especes d’hommes
Descendu sur ce petit amas de boue,[9] et n’ayant pas plus de notion de l’homme que l’homme MS1: a [K: en a] [Kehl errata and corr. eds.] n’en a des habitans de Mars, ou de Jupiter[,] je debarque vers les costes de l’ocean dans le pays de la Cafrerie,[10] et d’abord je me MS1: met [corr. eds.] mets à chercher un homme. Je voi des singes[,] des elephants, des negres &c. qui semblent tous avoir quelque lueur d’une raison imparfaitte. Les uns et les autres ont un langage que je n’entends point, Kehl: & toutes leurset leurs actions paroissent se raporter egalement à une certaine fin. Si je jugeois des choses par le premier effet qu’elles font sur moy, j’aurois du penchant à croire d’abord que MS1: de [add. sup. EDC] de tous ces etres[,] c’est l’elephant qui est l’animal raisonnable[.] Mais pour ne rien decider trop legerement je prends des petits de ces differentes betes. J’examine, un enfant negre de six mois, un petit elephant, un petit singe, un petit lion, un petit chien. Je vois à ne pouvoir douter, que ces jeunes animaux ont incomparablement plus de force et d’adresse, qu’ils ont plus d’idées, plus de passions, plus de memoire que le petit negre, qu’ils expriment bien plus sensiblement tous leurs dezirs, mais au bout de quelque tems le petit negre a tout autant d’idées qu’eux tous,[11] je [5] m’aperçois meme que ces animeaux negres ont entre eux un langage bien mieux articulé encore et bien plus Kehl: variable varié que celuy des autres betes[.] J’ay eu le tems d’aprendre ce langage, et enfin à force de considerer le petit degré de superiorité qu’ils ont à la longue sur les singes et sur les elephants j’ay hazardé de juger, qu’en effet, c’est là l’homme, et je me suis fait à moy meme cette definition.
L’homme est un animal noir qui a de la laine sur la tete[,] marchant sur deux pates, presque aussy adroit qu’un singe[,] moins fort que les autres animaux de sa taille, ayant un peu plus d’idées qu’eux, et plus de facilité pour les exprimer[,] sujet d’ailleurs a toutes les memes necessitez[,] naissant[,] vivant et mourant tout comme eux[.]
Apres avoir passé quelque tems parmi cette espece, je passe dans les regions maritimes des Indes orientales. Je suis surpris de ce que je vois, les elephants, les lyons, les singes, les perroquets n’y sont pas tout à fait les memes que dans la Cafrerie. Mais l’homme y paroit absolument MS1: differents [corr. eds.] different. Ils sont d’un beau jaune[,] n’ont point de laine. MS1: <[illegible] Leur> [corr. scribe] Leur tête est couverte de grands crins noirs. Ils paroissent avoir sur toutes les choses des idees contraires [6] à celles des negres. Je suis donc forcé de changer ma definition et de ranger la nature humaine sous deux especes, la jaune avec des crins et la noire avec de la laine.
Mais à Batavia, Goa, et Suratte, qui sont les rendez vous de touttes les nations[,] je vois une grande multitude d’Europeans qui sont blancs et qui n’ont ny crins ny laine mais des cheveux blonds fort déliez avec de la barbe au menton[.] On m’y montre aussy beaucoup d’Americains qui n’ont point de barbe, voila ma definition, et mes especes d’hommes bien augmentées.
Je rencontre à Goa une espece encore plus MS1: singulier [corr. eds.] singuliere que touttes MS1: <celle> celles [corr. EDC] celles cy. MS1: <qui se dit fait pour instruire les autres> C’est [del.] C’est un homme vetu d’une longue soutane noire, et qui se dit fait pour instruire les autres, tous ces differens hommes[,] me dit-il[,] que vous voyez sont tous nez d’un meme pere[,] et de là il me conte une longue histoire.[12] Mais ce que me dit cet animal me paroit fort suspect[.] Je m’informe sy un negre et une negresse à la MS1: laine noir [corr. eds.] laine noire et au nez epatez, font quelquefois des enfans blancs portant cheveux blonds, et ayant un nez aquilin et des yeux bleus, sy des nations sans Kehl: barbe sont sorties desbarbes sont sorties de peuples barbus et sy les blancs, et les blanches, MS1: ont [Kehl and corr. eds.] n’ont jamais produit des peuples jaunes[.] [7] On me repond que non, que les negres transplantez par exemple en Allemagne ne font que des negres, à moins que les Allemans ne se MS1: charge [corr. eds.] chargent de changer l’espece et ainsy du reste. On m’ajoute que jamais homme un peu instruit n’a avancé que les especes MS1: non non [corr. eds.] non melangées degènerassent, et qu’il n’i a gueres que l’abbé Dubos qui ait dit cette sottise dans un livre intitulé Reflections sur la peinture et sur la poesie.[13]
Il me semble alors que je suis assez bien fondé à croire qu’il en est des hommes comme des arbres, que les poiriers[,] les sapins, les chesnes, et les abricotiers, ne viennent point d’un meme arbre, et que les blancs barbus, les negres portant laine, les jaunes portant crins et les hommes sans barbe ne viennent pas du meme homme.[14]
Chapitre 2e
S’il y a un
dieu
[8] Nous avons à examiner ce que c’est que la faculté de penser dans ces especes d’hommes differentes[,] comment luy viennent ses idées, s’il a MS1: un [corr. eds.] une ame distincte du corps, sy cette ame est eternelle[,] sy elle est libre, sy elle a des vertus et des vices &c.[15] Mais la plus part de ces idées MS1: ont elle une [corr. eds.]Kehl: ont uneont elles une dependance de l’existence ou de la non existence d’un dieu. Il faut je crois commencer par sonder l’abime de ce grand principe[,] depouillons nous icy plus que jamais de toutte passion et de tout prejugez et voyons de bonne foy ce que notre raison peut nous aprendre sur cette question, y a t’il un dieu, n’y en a t’il pas[?]
Je remarque d’abord qu’il y a des peuples qui n’ont aucune connoissance d’un dieu createur, ces peuples à la verité sont barbares, et en tres petit nombre,[16] mais enfin ce sont des hommes, et sy la connoissance d’un dieu etoit necessaire à la nature humaine, les sauvages hottentots MS1: auroit [corr. eds.] auroient une idée aussy sublime que nous d’un etre supreme. Bien plus il n’y a aucun enfant chez les peuples policez qui ait dans sa tete la moindre idée [9] d’un dieu[,][17] on la leur imprime avec peine. Ils prononcent le mot de dieu, souvent toute leur vie sans y attacher aucune notion fixe, vous voyez d’ailleurs que les idées de dieu different autant chez les hommes que leurs religions et leurs loix, sur quoy je ne puis m’empecher de faire cette reflection. Est il possible que la connoissance d’un dieu[,] notre createur[,] notre conservateur[,] notre tout[,] soit moins necessaire à l’homme qu’un nez et cinq doigts[?] Tous les hommes naissent avec un nez et cinq doigts et aucun ne nait avec la connoissance de dieu[.][18] Que cela soit deplorable ou non, telle est certainement la condition humaine.
Voyons sy nous acquerons avec le tems la connoissance d’un dieu de MS1: meme nous [corr. eds.] meme que nous parvenons aux notions mathematiques et à quelques idees metaphisiques. Que pouvons nous mieux faire dans une recherche sy importante que de peser ce qu’on peut dire pour et contre, de nous decider pour ce qui nous paroitra plus conforme à notre raison.
[10] Sommaire des raisons en faveur de l’existence de dieu[19]
Il y a deux manieres de parvenir à la notion d’un etre qui preside à l’univers, la plus naturelle et la plus parfaitte pour les capacités communes est de considerer non seulement l’ordre qui est dans l’univers mais la fin à laquelle chaque chose paroit se raporter.[20] On a compossé sur cette seule idée, beaucoup de gros livres,[21] et tous ces gros livres ensemble ne contienent Kehl: rien de plusrien plus que cet argument cy. Quand je vois une montre dont l’eguille marque les heures[,] je conclus qu’un etre intelligent a arrangé les ressorts de cette machine afin que l’eguille marquast les heures[.] Ainsy quand je vois les ressorts du corps humain, je conclus qu’un etre intelligent a MS1: arrangéz [corr. eds.] arrangé ces organes pour etre recus, et nourris neuf mois dans la matrice, que les yeux sont donnez pour voir, les mains pour prendre &c. Mais de ce seul argument je ne peux conclure autre chose sinon qu’il est probable qu’un etre intelligent et superieur a preparé et façonné la matiere avec habilité, mais je ne peux conclure de cela seul que cet etre ait fait la matiere avec rien, et qu’il soit infini en tous sens; j’ay bau chercher dans mon esprit la MS1: <conviction> connection [corr. sup. EDC] connection de ces idées. Il est probable que je [11] suis l’ouvrage d’un etre plus puissant que moy, donc cet etre existe de toute eternité, donc il a crée tout[,] donc il est MS1: infinie [corr. eds.] infini &c. Je ne vois pas la chaisne qui mene droit à cet conclusion[,] je voi seulement qu’il y a quelque chose de plus puisant que moy et rien de plus[.]
MS1: [in the right-hand column of pages 11 through 19 EDC has added a commentary which we insert here; in the Kehl edition this commentary has become part of the main text between paragraphs 43 and 44] Il me semble qu’on ne peut faire que des sophismes et dire des absurdités quand on veut se forcer de nier la necessité d’un etre existant par lui meme, ou lorsqu’on veut soutenir que la matiere est cet etre, mais lorsqu’il s’agit d’etablir, et de discuter les attributs de cet etre dont l’existence est demontrée, c’est toute autre chose[.]
Les maitres dans l’art de raisonner, les Locks, les Clarks, Kehl: &c. [absent] &c. nous disent, cet etre est un etre intelligent, car celui qui a tout produit doit avoir toutes les perfections MS1: <de L’effet> qu’il a mis dans ce [corr. sup. EDC] qu’il a mises dans ce qu’il a produit, sans quoi l’effet seroit plus parfait que la cause, ou bien d’une autre maniere, il y auroit dans l’effet une perfection qui n’auroit été produite MS1: parien [corr. eds.] par rien, ce qui est visiblement absurde. K: Clarke 39Clark 79. Lock[.][22] Donc puisqu’il y a des etres intelligens, MS1: <puis> et [corr. sup. EDC] et que la matiere n’a pu se donner la faculté de penser, il faut que l’etre existant par lui meme, que dieu, soit un etre intelligent. Mais ne pouroit on MS1: <donc> pas [del. EDC] pas retorquer cet argument et dire, il faut que dieu soit matiere, MS1: <qu’il soit, etendu, impenetrable,> [del. EDC] puisqu’il y a des etres MS1: materiels <etendus, impenetrables,> [del. EDC] materiels, car sans cela MS1: la matiere <enfin> [del. EDC] la matiere n’aura été produite MS1: par rien [add. sup. EDC] par rien et MS1: <l’effet sera plus parfait que sa cause> une cause […] en elle [corr. sup. EDC] une cause aura produit un effet dont le principe n’etoit pas en elle [.] On a cru eluder cet argument en glissant le mot de MS1: perfection <mais qu’entent-on par ce mot> [del. EDC] perfection[.] Mr. Clark semble l’avoir Kehl: prévenuprevu, mais il n’a pas MS1: <scu> osé [del. EDC] osé le mettre dans tout son jour, MS1: il se fait seulement cette objection [add. sup. EDC] il se fait seulement cette objection[,] on dira que dieu a bien comuniqué la divisibilité et la figure MS1: <et> à [corr. sup. EDC] à la matiere quoiqu’il ne soit ni figuré ni divisible,[23] MS1: et [add. sup. EDC] et il fait à cette objection une reponse tres solide et tres aisée, c’est que la divisibilité, la figure Kehl: &c. [absent]&c. sont des qualités negatives et des limitations, et que quoiqu’une cause ne puisse comuniquer à son effet aucune perfection qu’elle n’a pas, l’effet peut cependant avoir et doit necessairement avoir des limitations[,] des imperfections que la cause n’a pas[.][24] Mais qu’eut repondu mr Clark à celui qui lui auroit dit, la matiere, n’est point MS1: une [corr. eds.] un etre negatif, une limitation, une imperfection[,] c’est un etre reel, positif qui a ses attributs tout come l’esprit, or coment dieu aura t’il pu produire un etre materiel s’il n’est pas materiel, il faut donc ou que vous avouiés que MS1: <Lel> la cause [del. EDC] la cause peut comuniquer quelque chose de positif qu’elle n’a pas, ou que la matiere n’a point de cause de son existence, ou enfin que vous souteniés que la matiere est une pure negation et une limitation, ou bien si ces trois partis sont absurdes, il faut que vous avoüiés que l’existence MS1: <d’un> des [corr. sup. EDC] des etres intelligens ne prouve pas plus que l’etre éxistant par lui meme est MS1: un etre [add. sup. EDC] un etre intelligent, que l’existence MS1: <[illegible]> des [corr. sup. EDC] des etres Kehl: matériels ne prouve materiels prouve que l’etre par lui meme est matiere, car la chose est absolument semblable[.] MS1: On dira la meme chose du mouvement [add. sup. EDC] On dira la meme chose du mouvement[.] À l’egard du mot de perfection[,] on en abuse icy visiblement[,] car qui osera dire que la matiere est une imperfection et la pensée une perfection[,] je ne crois pas que personne ose decider ainsi de l’essence des choses, et puis que veut dire perfection[,] est ce perfection par raport à dieu, ou par raport à nous, je sais que l’on peut dire que cette opinion rameneroit au spinosisme, à cela je pourois repondre que je ny puis que faire, et que mon raisonement, s’il est bon, ne peut devenir mauvais, par les consequences qu’on en peut tirer, mais de plus, rien ne seroit plus MS1: <faut> faux [corr.] faux que cette consequence[,] car cela prouveroit seulement que notre intelligence ne ressemble pas plus à l’intelligence de dieu que notre maniere d’etre Kehl: etendu ne ressembleetendu ressemble à la maniere dont dieu remplit l’espace, dieu n’est point dans le cas des causes que nous conoissons[,] il a pu creer l’esprit et la matiere sans etre ni matiere ni esprit[.] Ni l’un ni l’autre ne derive de lui, mais sont creés par lui, je ne concois pas le comodo, il est vray, mais j’aime mieux m’areter que de m’egarer, son éxistence m’est démontrée, mais pour ses attributs et son essence il m’est je crois demontré que je ne suis pas fait pour les comprendre[.]
Le second argument est plus metaphisique, moins fait pour etre saisy par les esprits grossiers[,] et conduit à des connoissances bien plus vastes, en voicy le precis.[25]
J’existe, donc quelque chose existe.[26] Sy quelque chose existe[,] quelque chose a donc existé de toute eternité car ce qui est, ou est par luy meme, ou a receu son etre d’un autre[.] S’il est par luy meme[,] il est necessairement[,] il a toujours eté necessairement, et c’est dieu. S’il a receu son etre d’un autre et ce second d’un troisieme, celuy dont ce dernier a recu son etre doit necessairement etre dieu[,] car vous ne pouvez concevoir qu’un être donne l’etre à un autre[,] s’il n’a le pouvoir [12] de creer. De plus si vous dites qu’une chose recoit[,] je ne dis pas Kehl: lasa forme mais son existence MS1: d’un [corr. eds.] d’une autre chose, et celle là d’une troisieme, cette troisieme MS1: d’un [corr. eds.] d’une autre encore et ainsy en remontant jusqu’à l’infini, vous dites une absurdité[,] car tous ces etres alors n’auront aucune cause de MS1: leurs [corr. eds.] leur existence[.] Pris tous ensemble[,] ils MS1: n’en n’ont [corr. eds.] n’ont aucune cause externe de MS1: leurs [corr. eds.] leur existence; pris chacun en particulier[,] ils MS1: n’en n’ont [corr. eds.] n’en ont aucune interne[,] c’est à dire pris tous ensemble ils ne doivent MS1: leurs [corr. eds.] leur existence à rien, pris chacun en particulier aucun n’existe par soy meme[,] donc aucun ne peut exister necessairement.[27]
Je suis donc reduit à avouer qu’il y a un etre qui existe necessairement par luy meme de toutte eternité et qui est l’origine de tous les autres etres. De là il suit essentiellement que cet etre est infini en durée[,] en immensité[,] en puissance, car qui peut le borner. Mais[,] me direz vous[,] le monde materiel est precisement cet etre que nous cherchons, examinons de bonne foy sy la chose est probable.[28]
[13] Sy ce monde materiel est existant par luy meme d’une necessité absolüe, c’est une contradiction dans les termes que de supposer que la moindre partye de cet univers puisse etre autrement qu’elle est[,] car sy elle est en ce moment d’une necessité absolue, ce mot seul exclut tout autre maniere d’etre[.][29] Or certainement cette table sur laquelle j’ecris, cette plume dont je me sers, n’ont pas toujours eté ce qu’elles sont, ces pensées que je trace sur le papier n’existoient pas meme il y a un moment[,] donc MS1: elle [corr. eds.]elles n’existent pas necessairement[.] Or sy chaque partie n’existe pas d’une necessité absolue[,] il est donc impossible que le tout existe par luy meme[.] Je produis du mouvement, donc le mouvement, n’existoit pas auparavant, donc le mouvement n’est pas essentiel à la matiere[,] donc la matiere le recoit d’ailleurs, donc il y a un dieu qui MS1: le [add. sup. EDC] le luy donne; de meme l’intelligence n’est pas MS1: <essentiel> essentielle [corr. EDC]essentielle à la matiere, car un rocher ou du froment ne pense point, de qui donc [14] MS1: <les partyes> les partyes [repetition] les partyes de la matiere qui pensent et qui sentent auront elles MS1: receus [corr. eds.] receu la sensation et la pensée, ce ne peut etre MS1: d’elle-meme [corr. eds.] d’elles memes, puis qu’elles sentent malgré elles[,] ce ne peut etre de la matiere en general[,] puis que la pensée et la sensation ne sont point de l’essence de la matiere. Elles ont donc receu ces dons de la main d’un etre supreme intelligent[,] infini et la cause MS1: original [corr. eds.] Kehl: originaireoriginale de tous les etres.[30]
Voila en MS1: peut [corr. eds.] peu de mots les preuves de l’existence d’un dieu, et le precis de plusieurs volumes[,] precis que chaque lecteur peut MS1: <entendre> etendre [corr. sup. EDC] etendre à son gré.
Voicy avec autant de brieveté les objections qu’on peut faire à ce sisteme.
[15] Difficultés sur l’existence de dieu
1o. Si dieu n’est pas ce monde materiel[,] il l’a crée ou bien[,] si vous voulez[,] il a donné à quel que autre etre MS1: <de créer ce monde> le pouvoir de le créer [corr. sup. EDC] le pouvoir de le creer, ce qui revient au meme, mais en faisant ce monde, ou il l’a tiré du neant, ou il l’a tiré de son propre etre divin. Il ne peut l’avoir tiré du neant qui n’est rien. Il ne peut l’avoir tiré de soy[,] puis que ce monde en ce cas seroit essentiellement partie de l’essence divine[,] donc je ne puis avoir d’idées de la creation, donc je ne dois point admetre la creation[.][31]
2o. Dieu auroit fait ce monde ou necessairement ou librement[.] S’il l’a fait par necessité, il MS1: la [corr. eds.] a dû toujour l’avoir fait, car cette necessité est eternelle, donc en ce cas le monde seroit eternel et creé, ce qui implique contradiction[.] Sy dieu l’a fait librement par pur choix sans aucune raison entecedente, c’est encore une contradiction, car c’est se contredire que de suposer l’etre [16] infiniment sage faisant tout sans aucune raison qui le determine, et l’etre infiniment puissant ayant passé une eternité sans faire le moindre usage de sa puissance[.]
3o. S’il paroit à la plus part des hommes qu’un etre intelligent a imprimé le sceau de Kehl: lasa sagesse sur toutte la nature, et que chaque chose semble etre faitte pour une certaine fin, il est encore plus vray aux yeux des philosophes que tout se fait dans la nature par les loix eternelles[,] independantes et immuables des mathematiques, la construction et la durée du corps humain sont une suitte de l’equilibre des liqueurs, et de la force des leviers. Plus on fait de decouvertes dans la structure de l’univers, plus on le trouve arrangé depuis les etoiles jusqu’au ciron, selon les loix mathematiques. Il est donc permis de croire que ces loix ayant operé par leur nature[,] il en resulte des effets necessaires que l’on prend pour les determinations arbitraires d’un pouvoir intelligent. Par exemple un champ produit de l’herbe parce que telle est la nature de son terrain, arrosé par la pluye et non pas parce qu’il y a des [17] cheveaux qui ont besoin de foin et d’avoine[,] ainsy du reste.
4o. Si l’arrangement des parties de ce monde, Kehl: & toutet si tout ce qui se passe parmi les etres qui ont la vie sentante, et pensante prouvoit un createur et un maitre[,] il prouveroit encor mieux un etre barbare. Car si l’on admet des causes finales, on sera obligé de dire que dieu infiniment sage, et infiniment bon a donné la vie à touttes les creatures pour etre devorées les unes par les autres; en effet si Kehl: l’onon considere tous les animaux[,] on verra que chaque espece a un instinct irresistible qui le force à detruire MS1: un [corr. eds.] une autre espece[.] A l’esgard des miseres de l’homme[,] il y a de quoy faire des reproches à la divinité pendant toutte notre vie, on a bau nous dire que la sagesse et la bonté de dieu ne sont point faittes comme la notre. Cet argument ne sera d’aucune force sur l’esprit de MS1: biens [corr. eds.] bien des gens, qui repondront qu’ils ne peuvent juger de la justice que par l’idée meme qu’on supose que dieu leur en a donné, que l’on ne peut mesurer qu’avec la mesure que l’on a et qu’il est [18] aussy impossible que nous ne croyons pas tres barbare un etre qui se conduiroit comme un homme barbare, qu’il est impossible que nous ne pensions pas qu’un MS1: <tel> etre <tel> <quel qu’il soit ait> quelquonque a [corr. sup. EDC] etre quelquonque a six pieds[,] quand nous l’avons mesuré avec une toise, et qu’il nous paroit avoir cette MS1: <hauteur> grandeur [corr. sup. EDC] grandeur.
Si on nous replique, ajouteront ils[,] que notre mesure est fautive, on nous dira une chose qui semble impliquer contradiction, car c’est dieu luy meme qui nous aura donné cette fause idée, donc dieu ne nous aura fait que pour nous tromper, or c’est dire qu’un etre qui ne peut avoir que des perfections[,] MS1: <jettent> jette [corr. EDC] jette ses creatures dans l’erreur qui est à proprement parler la seule imperfection, c’est visiblement se contredire. Enfin les materialistes MS1: <finirons> finiront [corr. EDC]finiront par dire, nous avons moins d’absurdités à devorer dans le sisteme de l’atheisme que dans celuy du deisme, car d’un coté il faut à la verité que nous concevions eternel, et infini ce monde que nous voyons, MS1: <et> mais [corr. sup. EDC] mais de l’autre il faut que nous imaginions un autre etre infini et eternel et que nous y ajoutions la creation, MS1: <donc> dont [corr. sup. EDC] dont nous ne pouvons avoir d’idées[.] [19] Il nous est Kehl: donc plus facile, conclueront-ilsdonc bien plus facile[,] ajouteront ils[,] de ne pas croire un dieu que de le croire[.]
Reponse à ces objections
Kehl: [the points are not numbered]1o. Les arguments contre la creation se reduisent à montrer qu’il nous est impossible de la concevoir, c’est à dire d’en concevoir la maniere, mais non pas qu’elle soit impossible en soy, car pour que la creation fut impossible, il faudroit d’abord prouver qu’il est impossible qu’il y ait un dieu[,] mais bien loin de prouver cette impossibilité[,] on est obligé de reconnoitre qu’il est impossible qu’il n’existe pas. Cet argument, qu’il faut qu’il y ait hors de nous un etre infini[,] eternel, immense[,] tout puissant, libre, intelligent, et les tenebres qui MS1: accompagne [corr. eds.] accompagnent cette lumiere, ne servent qu’à montrer que cette lumiere existe, car de cela meme qu’un etre infini nous est demontré, il nous est demontré aussy qu’il doit etre impossible à un etre fini de MS1: <la> le [corr.] le comprendre[.]
2o. MS1: <dije> Dire [add. sup. EDC]Dire que dieu n’a pu faire ce monde ny necessairement MS1: n’y [corr. eds.]ny librement, n’est qu’un sophisme qui tombe de luy meme dès qu’on [20] MS1: <qu’on a prouvé> a prouvé [repetition] a prouvé qu’il y a un dieu, et que le monde n’est pas dieu[,] et cette objection se reduit seulement à ce cy. Je ne puis comprendre que dieu ait creé l’univers plus tot dans un tems que dans un autre, donc il ne l’a pu creer, c’est comme si Kehl: l’onon disoit[,] je ne puis comprendre pourquoy un tel homme ou un tel cheval n’a pas existé mille ans auparavent[,] donc leur existence est impossible. MS1: De plus [...] sa volonté. [add. marg. EDC with marker]De plus la volonté libre de dieu est une raison sufisante du tems dans lequel il a voulu creer le monde, si dieu existe il est libre, et il ne le seroit pas s’il etoit toujours determiné par une raison sufisante et si sa volonté MS1: <n’en> ne lui en [corr. sup. EDC] ne lui en servoit pas, d’ailleurs cette raison sufisante seroit elle dans lui, ou hors de lui, si elle est hors de lui, il ne MS1: se [add. sup. EDC]se determine donc pas librement, si elle est en lui[,] qu’est ce autre chose que sa volonté[?][32]
3o. Les loix mathematiques sont immuables[,] il est vray[,]MS1: <des qu’elles a du mouvement on ne peut nier> mais il n’etoit [...] j’avouë [corr. and add. in blank space EDC]mais il n’etoit pas necessaire, que telles loix fussent preferées à d’autres, il n’etoit pas necessaire que la terre fut Kehl: placéeà la place où elle est, aucune loy matematique ne peut agir par elle meme, aucune n’agit sans mouvement, le mouvement n’existe point par lui meme, donc il faut recourir à un premier moteur,[33] j’avouë que les planettes placées à Kehl: telle distancetelles distances du soleil doivent parcourir leurs orbites selon les loix qu’elles observent, que meme MS1: leurs [corr. eds.] leur distance Kehl: peut êtreest reglée par la quantité de matiere qu’elles Kehl: renfermentenferment, mais poura t‘on dire qu’il etoit necessaire qu’il y eut une telle quantité de matiere dans chaque MS1: planettes [corr. eds.] planette, qu’il y eut un certain nombre d’etoiles, que ce nombre ne peut etre MS1: augmentés [corr. eds.] augmenté ni diminué, que sur la terre il Kehl: estetoit d’une necessité absolüe, et inherente dans [21] la nature des choses qu’il y eut un certain nombre MS1: <d’hommes> d’etres [corr. sup. EDC]d’etres [?] Non sans doute, puisque ce nombre change MS1: tout [corr. eds.] tous les jours. Donc toutte la nature depuis l’etoile la plus eloignée jusqu’à un brin d’herbe doit etre soumise à un premier moteur.
MS1: Quand [corr. eds.]Quant à ce qu’on objecte qu’un pré n’est pas essentiellement fait pour des cheveaux &c.; on ne peut conclure de là qu’il n’y ait point de cause finale, mais seulement que nous ne connoisons pas touttes les causes finales. Il faut icy surtout raisonner de bonne foy et ne point chercher à se tromper soy meme. Quand on voit une chose qui a toujours le meme effet; qui n’a uniquement que cet Kehl: effet, quieffet et qui est composé d’une MS1: infinités [corr. eds.] infinité d’organes dans les quels il y a une MS1: infinités [corr. eds.] infinité de mouvements qui tous concourent à la meme production[,] il me semble qu’on ne peut sans une secrette repugnance nier une cause finale. Le MS1: <germes> germe [corr. EDC] germe de tous les vegetaus[,] de tous les animaux est dans ce cas. Ne faut-il pas [22] etre un peu hardi pour dire que tout cela ne se raporte à aucune fin.
Je conviens qu’il n’y a point de MS1: demonstrations [corr. eds.] demonstration proprement dit qui prouve que l’estomac est fait pour digerer[,] comme il n’y a point de MS1: demonstrations [corr. eds.] demonstration MS1: qu’il fait jour [add. EDC] qu’il fait jour[,] mais les materialistes sont bien loin de pouvoir demontrer ausy que l’estomac n’est pas fait pour digerer. Qu’on juge seulement avec equité comme on juge des choses dans le cours MS1: ordinaires [corr. eds.] ordinaire, quelle est l’opinion la plus probable.[34]
A l’esgard des reproches Kehl: d’injusticed’injustices et de cruauté qu’on fait à dieu[,] je reponds d’abord que supposé qu’il y ait un mal moral (ce qui me paroit une chimere) ce mal moral est tout aussy impossible à expliquer dans le sisteme de la matiere que dans celuy d’un dieu. Je reponds ensuitte, que nous MS1: <avons> n’avons [add. EDC] n’avons MS1: d’autre idées [corr. eds.] Kehl: d’autres idéesd’autre idée de la justice que Kehl: cellescelle que nous nous sommes MS1: <formée> formés [corr. EDC]formés de toutte action utile à la societé, et conforme aux loix établies par nous, pour le bien commun.[35] Or cette idée n’etant qu’une idée de relation d’homme à homme [23] elle ne peut avoir aucune analogie avec Kehl: Dieu. Ildieu[,] et il est tout aussy absurde de dire de dieu en ce sens que dieu est juste ou injuste que de dire, dieu est bleu ou quarré.
Il est donc MS1: insensée [corr. eds.] insensé de reprocher à dieu que les mouches soyent mangées par les araignees et que les hommes ne vivent que quatre vingt ans, qu’ils abusent de MS1: leurs [corr. eds.] leur liberté pour se detruire les uns les autres[,] qu’ils ayent des maladies, des passions cruelles &c., car nous n’avons certainement aucune MS1: idée qui nous prouvent que [corr. eds.] Kehl: idée queidée qui nous prouve que les hommes et les mouches dussent etre eternels. Pour bien assurer qu’une chose est mal[,] il faut voir en meme tems qu’on pouroit mieux faire[.] Nous ne pouvons certainement juger qu’une machine est imparfaite que par l’idée de la perfection qui luy manque, nous ne pouvons par exemple juger que les trois cotés d’un triangle sont inegaux sy nous n’avons l’idée d’un triangle equilateral, MS1: <mais> nous [corr. EDC] nous ne Kehl: pouvons pourons dire qu’une montre est mauvaise sy nous n’avons une idée distincte d’un certain nombre d’espaces [24] egaux que l’eguille de cette montre doit egalement parcourir, mais qui aura une idée selon laquelle ce Kehl: monde-ci déroge [eye-skip] monde cy dut etre fait? Donc il y a de la folie à dire que l’arrangement de ce monde cy deroge à la sagesse divine.
Dans l’opinion qu’il y a un dieu il se trouve des difficultés[,] mais dans l’opinion contraire il y a des absurdités[,] et c’est ce qu’il faut examiner avec apliquation en faisant un petit precis de ce qu’un materialiste est obligé de croire.
Consequences necessaires de l’opinion des materialistes
Il faut qu’ils disent que le monde existe necessairement et par luy meme, de sorte qu’il y auroit de la contradiction dans les termes à dire qu’une partye de la matiere pouroit n’exister pas Kehl: ouet pouroit exister autrement qu’elle est. Il faut qu’ils disent que le monde materiel a en soy essentiellement la pensée et le sentiment, car il ne peut les acquerir, puisqu’en ce cas Kehl: ils lui viendroientelle luy [25] viendroit de rien. Il ne peut les avoir d’ailleurs[,] puis qu’il est suposé etre tout ce Kehl: quiqu’il est. Il faut donc que cette pensée et ce sentiment luy soient MS1: inherente [corr. eds.] inherents comme l’etendue[,] la divisibilité[,] la capacité du mouvement sont MS1: inherente [corr. eds.] inherentes à la matiere[,] et il faut avec cela confesser qu’il n’y a qu’un petit nombre de partyes qui ait ce sentiment et cette pensée essentielle au total du monde[,] que ces sentiments et ces pensées quoy MS1: qu’inherente [corr. eds.] qu’inherents dans la matiere[,] perissent cependant à chaque instant, ou bien il faudra avancer qu’il y a une ame du monde qui se repand dans les corps organisez[,] et alors il faudra que cette ame soit autre chose que le monde, ainsy de quelque coté qu’on se tourne[,] on ne trouve que des chimeres qui se detruisent.
Les materialistes doivent encore soutenir que le mouvement est essentiel à la matiere[,][36] ils sont par là MS1: reduit [corr. eds.] reduits à dire que le mouvement n’a jamais pu ny ne poura jamais augmenter MS1: n’y [corr. eds.] ny diminuer, ils seront MS1: forcé [corr. eds.] forcés d’avancer que cent mille hommes qui marchent à la fois et cent [26] coups de canon que l’on tire ne MS1: produise [corr. eds.] produisent aucun mouvement MS1: nouveaux [corr. eds.] nouveau dans la nature, il faudra encore MS1: qu’il assure [corr. eds.] qu’ils assurent qu’il n’y a aucune liberté et par là qu’ils detruisent tous les MS1: <biens> liens [corr. EDC] liens de la societé, et MS1: qu’il [corr. eds.]qu’ils croyent une fatalité tout aussy difficile à comprendre que la liberté, mais qu’eux memes dementent dans la pratique. Qu’un lecteur equitable ayant murement pesé le pour et le contre de l’existence d’un dieu createur MS1: <et> voye [del. EDC] voye à present de quel coté est la vraye semblance.
Apres nous etre ainsy MS1: trainé [corr. eds.]trainés de doute en doute et de conclusion en conclusion jusqu’à pouvoir regarder cette proposition[,] Kehl: y a-t-il un dieuil y a un dieu comme la chose la plus vraye semblable que les hommes puissent penser, et apres avoir vu que la MS1: <propositions> proposition [corr. EDC] proposition contraire est une des plus absurdes[,] il semble naturel de rechercher quelle relation il y a entre dieu et nous[,] de voir sy dieu a etabli des loix pour les etres pensants, comme il y a des [27] loix mecaniques pour les etres materiels, d’examiner s’il y a une morale, et ce qu’elle peut etre[,] s’il y a une relligion etablie par dieu meme.[37] Ces questions sont sans doute d’une importance à qui tout cede[,] et les recherches dans MS1: lesquels [corr. eds.]lesquelles nous amusons notre vie sont bien frivoles en compairaison. Mais ces questions seront plus à MS1: leurs [corr. eds.] leur place quand nous Kehl: considéreronsconsiderons l’homme comme un animal sociable[.]
Examinons d’abord comment luy viennent ses idées, et comme il pense avant de voir quel usage il fait, Kehl: ou ilet qu’il doit faire de ses pensées[.]
[28]
Chapitre 3e.
Que toutes les idees viennent par
les sens
Quiconque, se rendra un compte fidele de tout ce qui s’est passé dans son entendement, avoura sans peine que ses sens luy ont fourni toutes ses idées. Mais des philosophes qui ont abusé de MS1: leurs [corr. eds.] leur raison ont pretendu que nous avions des idées innées, et ils ne l’ont assuré que sur le MS1: meme [add. sup.] meme fondement qu’ils ont dit que dieu avoit pris des cubes de matiere et les avoit froissez l’un contre l’autre pour former ce monde visible.[38] Ils ont forgé des sistemes avec lesquels ils se flatoient de pouvoir hazarder quelque expliquation apparente des phenomenes de la nature. Cette maniere de philosopher est encore plus dangereuse que le jargon meprisable de l’Ecole. Car ce jargon etant absolument vide de sens, il ne faut qu’un peu d’attention à un esprit droit pour MS1: en [add. sup.] en apercevoir tout d’un coup le ridicule, et pour chercher ailleurs la verité, mais une hippothese ingenieuse et hardie qui a d’abord [29] quelque lueur de vraisemblance interresse l’orgueil humain à la croire, l’esprit s’aplaudit de ces principes subtils et se sert de toute sa sagacité pour les deffendre.[39] Il est clair qu’il ne faut jamais faire d’ippothese[.] Il ne faut point dire[,] commençons par inventer des principes avec lesquels nous tacherons de tout expliquer. Mais il faut dire[,] faisons exactement l’analise des choses et ensuitte nous tacherons de voir avec beaucoup de defiance si elles se raportent avec quelques principes. Ceux qui ont fait le roman des idées innées se sont MS1: flaté [corr. eds.] flatés qu’ils rendroient raison des idées de l’infini[,] de l’immensité[,] de dieu et de certaines notions metaphisiques qu’ils supposoient MS1: etres [corr. eds.] etre communes à tous les hommes[,] mais sy avant de s’engager dans ce sisteme[,] ils avoient bien MS1: voulus [corr. eds.] voulu faire reflection que beaucoup d’hommes n’ont de MS1: leurs [corr. eds.] leur vie la moindre teinture de ces notions[,] qu’aucun enfant ne les a que quand on les luy donne, et que lors qu’enfin MS1: ont les a acquise on a que […] tres imparfaite [corr. eds.] on les a acquises[,] on [n’]a que des perceptions tres imparfaites, des [30] idées purement MS1: negative [corr. eds.] negatives,[40] ils auroient eu honte eux memes de leur opinion. S’il y a quelque chose de demontré hors des mathematiques[,] c’est qu’il n’y a point d’idées innées dans l’homme[.] S’il y en avoit[,] tous les hommes en naissant auroient l’idée d’un dieu Kehl: &et en auroient tous la meme idée, ils auroient tous les memes notions metaphisiques. Ajouttez à cela l’absurdité ridicule où l’on se jette quand on soutient que dieu nous donne dans le ventre de la mere des notions qu’il faut entierrement nous enseigner dans notre jeunesse.
Il est donc MS1: indubitables [corr. eds.] indubitable que nos MS1: premiers [corr. eds.] premieres idées sont nos sensations,[41] petit à petit nous recevons des idées composées de ce qui frape nos organes[,] notre memoire retient ces perceptions[,] nous les rangeons ensuitte sous des idées generales, et de cette seule faculté que nous avons de composer, et d’arranger ainsy nos idées resultent toutes les vastes connoissances de l’homme.[42]
Ceux qui objectent que les notions de MS1: l’infinie [corr. eds.] l’infini en durée[,] en etendue[,] en nombre, ne peuvent venir de nos sens, n’ont qu’à rentrer un instant en eux memes. Premierement [31] ils verront qu’ils n’ont aucune idée complette et meme seulement positive de l’infini[,] mais MS1: que [add. sup. EDC] que ce n’est qu’en ajoutant Kehl: lesdes choses materielles les unes aux autres qu’ils sont parvenus à connoitre qu’ils ne verront jamais la fin de leur compte. Et cette impuissance[,] ils l’ont appellée infini,[43] ce qui est bien plus tot un aveu de l’ignorance humaine qu’une idée au dessus de nos sens. Que si Kehl: l’onon objecte qu’il y a un infini reel en geometrie, je repons que non. On prouve seulement que la matiere sera toujours divisible, on prouve que tous les cercles MS1: possible passerons [corr. eds.] possibles passeront entre deux MS1: ligne [corr. eds.] lignes. On prouve qu’une infinité de surfaces n’a rien de commun avec une infinité de cubes, mais cela ne donne pas plus l’idée de l’infini que cette proposition, il y a un dieu MS1: ne [add. eds.]Kehl: ne[ne] nous donne une idée de ce que c’est que dieu[.]
Mais ce n’est pas assez de nous etre convaincus que nos idées nous viennent toutes par les sens. Notre curiosité nous porte jusqu’à vouloir MS1: connoitre [add. EDC] connoitre [32] comment elles nous viennent. C’est icy que tous les philosophes ont fait de baux romans. MS1: ils etoit aisée [corr. eds.] Il etoit aisé de se les epargner, en considerant avec bonne foy les bornes de la nature humaine. Quand nous MS1: ne [add. sup.] ne pouvons nous aider du compas des mathematiques ni du flambau de l’experience et de la phisique[,] il est certain que nous ne pouvons faire un seul pas; jusqu’à ce que nous ayons les yeux assez fins pour distinguer les parties constituantes de l’or d’avec les parties constituantes d’un grain de moutarde. Il est bien sur que MS1: ne ne [corr. eds.] nous ne pourons raissonner sur Kehl: leurs essencesleur essence, et jusqu’à ce que l’homme soit d’une autre nature et qu’il ait des organes pour apercevoir sa propre substance et l’essence MS1: <des> de [corr. EDC] de ses idées, comme il a des organes pour sentir, il est indubitable qu’il luy sera impossible de les connoitre[.] Demander comment nous pensons et comment nous sentons[,] comment nos mouvements obeissent à notre volonté[,] c’est demander le secret du createur, nos sens ne nous fournissent pas plus de voyes pour arriver à cette connoissance qu’ils [33] ne nous fournissent des ailes quand nous dezirons avoir la faculté de voler, et c’est ce qui prouve bien à mon avis que toutes nos idées nous viennent par les sens[,] puisque lorsque les sens nous MS1: manque [corr. eds.] manquent, les idées nous MS1: manque [corr. eds.] manquent Kehl: aussy, nous est-ilaussy. Il nous est impossible de savoir comment Kehl: nous pensonsje pense par la meme raison qu’il nous est impossible d’avoir l’idée d’un sixieme sens.[44] C’est parce qu’il nous manque des organes qui MS1: enseigne [corr. eds.] enseignent ces idées. Voila pourquoy ceux qui ont eu la hardiesse d’imaginer un sisteme sur la nature de l’ame et de nos conceptions ont eté obligez de suposer l’opinion absurde des idées innées[,] se flatant que parmi MS1: <ces> les [corr. EDC]les pretendues idées metaphisiques descendues du ciel dans notre esprit il s’en trouveroit quelques unes qui MS1: decrouvriroit [corr. eds.] decouvriroient ce secret impenetrable[.]
De tous les raissonneurs hardis qui se sont perdus dans la profondeur de ces recherches, le pere Mallebranche est celuy [34] qui a MS1: <parut> paru [corr. EDC] paru s’egarer de la facon la plus sublime.
Voicy à quoy MS1: ce [corr. eds.] se reduit son sisteme qui a fait tant de bruit.
Nos perceptions qui nous viennent à l’occation des objets, ne peuvent etre causées par ces objets meme[,] qui certainement n’ont pas en eux la puissance de donner un sentiment. MS1: elle [corr. eds.]Elles ne viennent pas de nous meme[,] car nous sommes à cet egard aussy impuissants que ces objets. Il faut donc que ce soit dieu qui nous les donne[,] or dieu MS1: <dit> est [del.] est le Kehl: lienlieu des esprits, et les esprits subsistent en luy, donc c’est en luy que nous avons nos idées et que nous voyons toutes choses.[45]
Or je demande à tout homme qui n’a point d’enthousiasme dans la tete, quelle notion claire ce dernier raisonnement nous donne?
Je demande ce que MS1: veux [corr. eds.] veut dire dieu est le Kehl: lienlieu des esprits, et quand meme ces mots sentir et voir tout en dieu formeroient en nous une idée distincte, je demande ce que nous y gagnerions, et en quoy nous serions plus savants qu’auparavant?
[35] Certainement pour reduire le sisteme du pere Mallebranche à quelque chose Kehl: d’intelligibled’intelligent on est obligé de recourir au spinozisme,[46] d’imaginer que le total de l’univers est dieu[,] que ce dieu agit dans tous les etres, sent dans les betes[,] pense dans les hommes, vegete dans les arbres, MS1: <et> est [corr. EDC] est pensée, et caillou, a toutes les parties de luy meme detruites à tout moment, et enfin toutes les absurdités qui decoulent necessérement de ce principe[.]
Les egarements de tous ceux qui ont voulu aprofondir ce qui est impenetrable pour nous doivent nous aprendre à ne vouloir pas franchir les limites de notre nature. La vraye philosophie est de savoir s’arreter où il faut, et de ne jamais marcher qu’avec un guide sur. Kehl: Il [new paragraph]Il reste assez de terrain à parcourir sans voiager dans les MS1: especes [corr. eds.] espaces imaginaires. Contentons nous donc de savoir par l’experience appuyée du raisonnement[,] MS1: <seules resources> seule sources [corr. EDC and eds.] seule source de nos connoissances[,] que nos sens sont les portes [36] par MS1: lesquels [corr. eds.] lesquelles toutes les idées entrent dans notre entendement, et ressouvenons nous bien qu’il nous est absolument impossible de connoitre le secret de cette mecanique[,] parce que nous n’avons point Kehl: d’instrumens proportionnésd’instrument proportionné MS1: à [add. sup. EDC] à ses ressorts.
Chapitre 4e.
Qu’il y a en effet
des MS1: <objet> objets [corr.
EDC]objets exterieurs
On n’auroit point songé à traitter cette question[,] sy les philosophes n’avoient cherché à douter des choses les plus claires, comme ils se sont flattez de connoitre les plus MS1: douteuse [corr. eds.] douteuses.
Nos sens nous font avoir des idées[,] disent-ils, mais peutetre que notre entendement reçoit ces perceptions sans qu’il y ait MS1: aucuns [corr. eds.] aucun objet au dehors, nous savons que pendant le sommeil nous voyons et nous sentons des chosses qui n’existent pas. Peutetre notre vie est MS1: telle [corr. eds.] elle un songe continuel[,] et la mort sera le moment de notre reveil ou la fin d’un songe [37] MS1: <à qui nulle vérité> auquel nul réveil [corr. sup. EDC] auquel nul reveil ne succedera[.]
Nos sens nous trompent dans la veille meme, la moindre alteration dans nos organes, nous MS1: <faits> fait [corr. EDC] fait voir quelquefois des objets, et entendre des sons dont la cause n’est que dans le derangement de notre corps, il est donc tres possible qu’il nous arrive toujours ce qui nous arrive quelquefois.
Ils ajoutent, quand nous voyons un objet[,] nous apercevons une couleur, une figure, nous entendons des sons, et il nous a plu de nommer tout cela, les modes de cet objet.[47] Mais la substance de cet objet[,] quelle est MS1: telle [corr. eds.] elle? C’est là en effet que l’objet echape à notre imagination. Ce que nous nommions sy hardiment la substance n’est en effet que l’assemblage de ces modes. Depouillés cet arbre de cette couleur, de cette configuration qui vous donnoit l’idée d’un arbre, que luy restera t’il? Or ce que j’ay appellé modes[,] MS1: <ne sont autres choses> ce n’est autre chose [corr. sup. EDC] ce n’est autre chose que mes perceptions. Je puis bien dire, MS1: j’ay l’idée de la couleur verte et d’un corps tellement configuré [underlining add. EDC?] j’ay Kehl: idéel’idée de la couleur verte et d’un corps tellement configuré[,] mais je n’ay aucune preuve que [38] ce corps MS1: et cette couleur existent [corr. EDC] et cette couleur existent[,] voyla ce que dit MS1: Sentus [corr. eds.] Sextus Empiricus,[48] et à quoy il ne peut trouver de reponse[.]
Accordons pour un moment à ces MS1: mrs [corr. eds.]messieurs encor plus qu’ils ne demandent[.] Ils pretendent qu’on ne peut leur prouver qu’il y a des corps[.] Passons MS1: leurs [corr. eds.] leur qu’ils prouvent eux memes MS1: qu’ils [corr. eds.]qu’il n’y a point de corps! Que s’ensuivra t’il de là, nous conduirons nous autrement dans notre vie? Aurons nous des idées differentes sur rien? Il faudra seulement changer un mot dans les discours. Lorsque par exemple on aura donné MS1: quelque [corr. eds.] quelques batailles[,] il faudra dire que dix mille hommes ont paru etre tuez, qu’un tel oficier semble avoir la jambe cassée et qu’un chirurgien paroitra la luy couper, de meme quand nous aurons faim[,] nous demanderons l’apparence d’un morceau de pain pour faire semblant de digerer.
Mais voicy ce que l’on pouroit MS1: <répondre plus serieusement à ces messieurs> leur répondre plus sérieusement [corr. EDC] leur repondre plus serieusement[.]
1o. Vous ne pouvez pas en rigueur comparer la vie à l’etat des songes[,] parce que vous ne songez jamais en dormant qu’aux choses [39] dont vous avez eu l’idée etant Kehl: eveilléseveillé. Vous etes Kehl: sûrssur que vos songes ne sont autre chose qu’une faible reminiscence. Au contraire pendant la veille[,] lorsque nous avons une sensation[,] nous ne pouvons jamais conclure que ce soit par reminiscence. Sy par exemple une piere en tombant nous casse l’epaule[,] il paroit assez dificile que cela se fasse par un effort de memoire.
2o. Il est tres vray que nos sens sont souvent Kehl: trompés; maistrompeurs. Mais MS1: qu’entend ton [corr. eds.] qu’entend-on par là? Nous n’avons qu’un sens à proprement parler qui est celuy Kehl: dude toucher[.] La vüe, le son, l’odorat ne sont que le tact des corps intermediaires qui partent d’un corps eloigné[.][49] Je Kehl: n’ai idéen’ay d’idée des etoiles que par l’attouchement, et comme cet attouchement de la lumiere qui vient fraper mon oeil de mille millions de lieues n’est point palpable, comme l’attouchement de mes mains, et MS1: qui [corr. eds.]Kehl: qu’ilqu’il depend, du milieu que ces corps ont traversé[,] [40] cet attouchement est ce qu’on nomme improprement trompeur[.] Il ne me fait point voir les objets à leur veritable place, il ne me donne point d’idée de leur grosseur, aucun meme de ces attouchements qui ne sont point MS1: palpable [corr. eds.] palpables ne me donne l’idée possitive des corps[.] La premiere fois que je sens une odeur sans voir l’objet dont elle vient mon esprit ne trouve aucune relation entre un corps, et cette odeur, mais l’attouchement proprement dit, l’aproche de mon corps à un autre independement de mes autres sens me donne l’idée de la matiere. Car lorsque je touche un rocher[,] je sens bien que je ne puis me mettre à sa place et que par consequent il y a là quelque chose d’etendu et d’impenetrable. Ainsy supposé (car que ne supose t-on pas) qu’un homme eut tous les sens hors celuy du toucher, proprement dit, cet homme pouroit fort bien doutter de l’existence des objets exterieurs[,] et peutetre meme seroit il longtems sans en avoir d’idée. Mais celuy qui seroit sourd, et aveugle, et [41] qui auroit le toucher, ne pouroit douter de l’existence des choses MS1: que [corr. eds.] qui luy feroient eprouver de la durté[,] et cela parce qu’il n’est point de l’essence de la matiere qu’un corps soit coloré ou sonore, mais qu’il soit etendu et MS1: <impetrable> impenetrable [corr. sup.] impenetrable.[50] Mais que repondront les sceptiques outrez à ces deux questions cy.
1o. S’il n’y a point d’objets exterieurs et si mon imagination fait tout[,] pourquoy suy-je brulé en touchant du feu, et ne sui-je point brulé quand dans un reve je crois Kehl: toucher dutoucher à du feu.[51]
2o. Quand j’ecris mes idées sur ce papier et qu’un autre homme vient me lire ce que j’ecris, comment pui-je entendre les propres paroles que j’ay ecrites et pensees, sy cet autre homme ne me les lit pas effectivement. Comment pui-je meme MS1: le [corr. eds.] les retrouver sy elles n’y sont pas.[52] Enfin quelque effort que je fasse pour douter[,] je suis plus convaincu de l’existence des corps que je ne le suis de plusieurs verités geometriques[.] Cecy paroitra etonnant, mais je n’y puis que faire. J’ai bau manquer de demonstrations geometriques pour [42] prouver que j’ay un pere, et une mere, et j’ay bau m’avoir demontré, c’est à dire n’avoir pu repondre à l’argument qui me prouve qu’une infinité de lignes courbes peuvent passer entre un cercle et sa tangente[,] je sens bien que sy un etre tout puissant me venoit dire[,] de ces deux propositions il y a des corps, et une infinité de courbes passent entre le cercle et la tangente[,] il y a une proposition qui est fausse, devinez laquelle? je devinerois que c’est la derniere[,] car sachant bien Kehl: bien que j’ai ignoré longtemps cette proposition, que j’ai eu besoin d’une attention suivie pour en entendre la démonstration, que j’ai cru y trouver des difficultés, qu’enfin lesqu’il n’y a point dans la nature de ligne sans surface et sans profondeur, ny de point sans etendue[,] et sachant que les verités geometriques n’ont de realité que dans mon esprit[,] je pourois soupconner que mon esprit s’est trompé.
Quoy qu’il en soit[,] comme mon principal but est icy d’examiner l’homme sociable[,] et que je ne puis etre sociable, s’il n’y a une societé et par consequent des objets hors de nous, les pirroniens me permettront de commencer par croire fermement [43] qu’il y a des corps[,] sans quoy il faudroit que je refutasse l’existence à ces messieurs.[53]
Chapitre cinq
Si l’homme a MS1: un [corr. eds.]une ame et ce que ce peut etre
Nous sommes certains que nous sommes matiere; que nous sentons et que nous pensons, nous sommes persuadez MS1: <que> de [corr. scribe] de l’existence d’un dieu duquel nous sommes l’ouvrage; par des raisons contre MS1: lesquels [corr. eds.] lesquelles notre esprit ne peut se revolter[,] nous MS1: <avons prouvé> nous somes prouvés [corr. sup. EDC] nous somes prouvé à nous meme que ce dieu a Kehl: créé cecrée tout ce qui éxiste, nous nous sommes convaincus qu’il nous est impossible et qu’il doit nous etre impossible de savoir comment il nous a donné l’etre, mais pouvons nous savoir ce qui pense en nous? Quelle est cette faculté que dieu nous a MS1: donné [corr. eds.] donnée? Esce la matiere qui sent, et qui pense? Esce une substance immateriele? En un mot qu’esce qu’une ame? C’est icy où il est necessaire plus que jamais de me remettre dans l’etat d’un etre [44] pensant, descendu d’un autre globe, MS1: <n’ayans> n’ayant [corr. EDC] n’ayant aucuns des prejugéz de celuy cy, et possedant la meme capacité que moy, n’etant point ce qu’on apelle homme, et jugeant de l’homme d’une maniere dessinterressée.[54]
Sy j’etois un etre superieur à qui le createur eut revelé ses secrets[,] je dirois bien tot en voyant l’homme ce que c’est que cet animal. Je definirois son ame, et touttes ses facultés en connoissance de cause avec autant de hardiesse que l’ont defini tant de philosophes qui n’en MS1: <savoit> savoient [corr. EDC] savoient rien, mais avouant mon ignorance et essayant ma foible raison, je ne puis faire autre chose que de me servir de la voye de l’analise qui est le baton que la nature a donné aux aveugles, j’examine tout partie à partie et je vois ensuitte si je puis juger du total.[55]
Kehl: Je [no new paragraph]Je me supose donc arrivé en Afrique et entouré de negres[,] de Hottentots et d’autres animaux. Je remarque d’abord que les organes de la vie sont Kehl: les mêmes chez eux touschez eux tous les memes. Les operations de leurs corps partent tous des memes [45] principes de vie, ils ont tous à mes yeux memes desirs, memes passions, memes besoins[.] Ils les expriment tous chacun dans MS1: leurs langue [corr. eds.]Kehl: leurs languesleur langue. La langue que j’entends la premiere est celle des animaux. Cela ne peut etre autrement, les sons par lesquels ils s’expriment ne semblent point arbitraires[,] ce sont des caracteres vivants de leurs passions. Ces signes portent l’empreinte de ce qu’ils expriment[.] Le cri d’un chien qui demande à manger joint à touttes ses attitudes, a une relation sensible à son objet. Je MS1: la [corr. eds.] le distingue incontinent des cris et des mouvements par lesquels il MS1: <flattent> flatte [corr. EDC] flatte un autre Kehl: animal, deanimal et de ceux avec lesquels il chasse, et de ceux par lesquels il se plaint. Je discerne encore sy sa plainte exprime l’anxieté de la solitude, ou la douleur d’une blessure, ou les impatiences de l’amour. Ainsy avec un peu d’attention j’entends le langage de tous les animaux[.] Ils n’ont Kehl: aucun sentimentaucune idée [46] qu’ils n’expriment[,] Kehl: peut-être n’en est-il pas de même de leurs idées: mais commeet comme il paroit que la nature ne leur a donné que peu d’idées, il me semble ausy qu’il est naturel qu’ils eussent un langage borné[,] proportionné à leurs perceptions.
Que rencontrai je de different dans les animaux negres[,] que pui-je y voir si non quelques idées, et quelques combinaisons de plus dans leur tete, MS1: exprimée [corr. eds.] exprimées par MS1: <une> un [corr. EDC] un langage differement articulé. Plus j’examine tous ces etres[,] plus je dois soupçonner que ce sont des especes differentes d’un meme genre[.][56] Cette admirable faculté de retenir des idées leur est commune à tous, ils ont tous des songes, et des images foibles MS1: pendant le someil [corr. sup. EDC] pendant le someil des idées qu’ils ont receues en veillant, leur faculté sentante et pensante croit avec leurs Kehl: organes & s’affaiblitorganes, s’affoiblit avec eux, perit avec eux[.] Que l’on verse le sang d’un singe et d’un negre[,] il y aura bien tot dans l’un et dans l’autre un degré d’epuisement qui les mettra hors MS1: <d’etats> d’etat [corr. EDC] d’etat de me reconnoitre. Bien tot apres[,] leurs sens exterieurs n’agissent plus, et enfin ils meurent[.][57]
[47] Je demande alors ce qui leur donnoit la vie, la sensation, la pensée, ce n’etoit pas MS1: leurs [corr. eds.] leur propre ouvrage, ce n’etoit pas celuy de la matiere[,] comme je me le suis deja prouvé. C’est donc dieu qui avoit donné à tous ces corps la puissance de sentir et d’avoir des idées dans des degrés differentes proportionnéz à leurs organes. Voyla assurement ce que je soupconneray d’abord.
Enfin je vois des hommes qui me paroissent superieurs à ces negres[,] comme ces negres le sont aux singes et comme les singes le sont aux huitres et aux autres animaux de cette espece.
Des philosophes me disent[,] ne vous y MS1: trompés [add. EDC] trompés pas, l’homme est entierement different des autres animaux, il a une ame spirituelle et immortelle. Car remarquez bien cecy, sy la pensée est un composé de la matiere[,] elle doit etre necessairement cela meme dont elle est composée, elle doit etre divisible, capable de mouvement &c. Or la pensée ne peut point se diviser[,] donc elle n’est point un composé de la matiere. Elle n’a point de parties[,] elle est simple[,] elle est immortelle[,] elle est l’ouvrage et l’image d’un dieu.[58] [48] J’ecoute ces maitres et je MS1: leurs [corr. eds.] leur repons toujours avec defiance de moy meme, mais non avec confiance en eux. Sy l’homme a MS1: un [corr. eds.] une ame telle que vous MS1: l’assuré [corr. eds.] l’assurez[,] je dois croire que ce chien et cette taupe en ont une toutte pareille. Ils me jurent tous que non. Je leur demande quelle difference il y a donc entre ce chien et eux. Les uns me repondent[,] ce chien est une forme substantielle,[59] les autres me disent[,] n’en croyez rien, les formes substantielles sont des chimeres, mais ce chien est une machine comme un tourne broche, et rien de plus[.][60] Je MS1: demandent [corr. eds.] demande encore aux inventeurs des formes substantielles ce qu’ils entendent par ce mot, et comme ils ne me repondent que du galimathias[,] je me retourne vers les inventeurs des MS1: tournebroche [corr. eds.] tournebroches, et je MS1: leurs [corr. eds.] leur dis, sy Kehl: cesles bestes sont de pures machines[,] vous n’etes certainement aupres MS1: d’elle [corr. eds.] d’elles que ce qu’une montre à repetition est en comparaison du tournebroche dont vous parlez, ou sy vous avez l’honneur de posseder une ame spirituelle, les animaux en ont une ausy[,] car ils sont tout ce que vous etes, ils ont les memes organes avec les quels [49] vous avez des sensations, et sy ces organes ne leur servent pas pour la meme fin dieu en leur donnant MS1: <les> ces [corr. EDC] ces organes aura fait un ouvrage inutile[,] et dieu selon vous meme ne fait rien en vain[.][61] Choisisez donc[,] ou d’attribuer une ame spirituelle à une puce[,] à un ver, à un ciron[,] ou d’etre automate comme eux. Tout ce que ces messieurs peuvent me repondre[,] c’est MS1: qu’il conjecture [corr. eds.] qu’ils conjecturent que les MS1: <[illegible]> ressorts [corr.] ressorts des animaux qui paroissent les organes de Kehl: leurs sentimensleur sentiment sont necessaires à leur vie et ne sont chez eux que les ressorts de la vie. Mais cette reponse n’est qu’une suposition deraisonnable[.] Kehl: Il [new paragraph]Il est certain que pour vivre on a MS1: besoins [corr. eds.] besoin ny de nez[,] ny d’oreilles[,] ny d’yeux[.] Il y a des animaux qui n’ont Kehl: point de cespoint ces sens, et qui vivent. Donc ces organes de sentiment ne sont donnez que pour le sentiment[,] donc les animaux sentent comme nous, donc ce ne peut etre que par un exces de vanité ridicule que les hommes s’attribuent MS1: un [corr. eds.]une ame d’une espece differente de MS1: ce [corr. eds.] celle qui anime les brutes. Il est donc clair jusqu’à present que ny les philosophes ny moy ne savons ce que c’est que cette ame. Il m’est seulement prouvé [50] que c’est quelque chose de commun Kehl: entreavec l’animal appellé homme et celuy qu’on nomme bete. Voyons sy cette faculté commune à tous ces animaux est matiere ou non.
Il est impossible[,] me dit-on[,] que la matiere pense.[62] Je ne vois pas cette impossibilité; sy la pensée etoit un composé de la matiere[,] comme ils me le disent[,] MS1: <j’avancerois> j’avouërois [corr. sup. EDC] j’avouërois que la pensée devroit etre etendue et divisible[.] Mais sy la pensée est un attribut de dieu donné à la matiere, je ne vois pas qu’il soit necessaire que cet attribut soit etendue et divisible[,] car je voi que dieu a communiqué d’autres proprietés à la matiere[,] lesquelles n’ont ny etendue ny divisibilité.[63] MS1: Le mouvement [add. sup. EDC] Le mouvement[,] la gravitation par exemple[,] qui agit sans corps intermediaires et qui agit en raison directe de la masse, et non des surfaces, et en raison doubléee inverse des distances, est une qualité reele demontrée, et dont la cause est aussy cachée que celle de la pensée.[64]
En un mot[,] je ne puis juger que d’apres ce que je vois, et selon ce qui me paroit le plus probable[.] [51] Je voi que dans MS1: toutes [corr. eds.] toute la nature les memes effets supposent une meme Kehl: cause. Ainsi je jugecause, je juge ainsy que la meme cause agit dans les bestes et dans les hommes à proportion de leurs organes, et je crois que ce principe commun aux hommes et aux betes, est un atribut Kehl: donné par Dieude dieu donné à la matiere[.][65] Car sy ce qu’on appelle âme etoit un etre à part, de quelque nature que fut cet etre[,] je deverois croire que la pensée est son essence, ou bien je n’aurois aucune idée de cette substance, aussy tous ceux qui ont admis une ame immaterielle ont eté obligez de dire que cette ame pense toujours. Mais j’en apelle à la consience de tous les hommes[,] pensent ils? sans cesse; pensent ils quand ils dorment d’un someil plein et profond[?] Les bestes ont elles à Kehl: tous momenstout moment des idées? Quelqu’un qui est MS1: <[illegible]> evanoui [corr.] evanoui, a t’il beaucoup d’idées dans cet etat qui est reellement une mort passagere[?] Sy l’ame ne pense pas toujours, MS1: ils [corr. eds.]il est donc absurde de reconnoitre en l’homme une substance dont l’essence est de [52] penser[.] Que Kehl: pourrions-nouspouvons nous en conclure[,] si non que dieu a MS1: organisez [corr. eds.] organisé les corps pour penser, comme pour manger et pour digerer.[66] En m’informant de l’histoire du genre humain[,] j’apprends que les hommes ont eu longtems la meme opinion que moy sur cet article. Je lis le plus ancien livre qui soit au monde, conservé par un peuple qui se pretend le plus ancien peuple. Ce livre me dit meme que dieu semble penser comme moy. Il m’aprend que dieu a autrefois donné aux juifs les loix les plus detaillées que jamais MS1: nations [corr. eds.] nation ait MS1: receus [corr. eds.]receues. Il daigne MS1: leurs [corr. eds.] leur prescrire jusqu’à la maniere dont ils doivent aller à la garderobe et il ne leur dit pas un mot de leur ame.[67] Il ne leur parle que des peines et des recompenses temporelles[.] Cela prouve au moins que l’auteur de ce livre ne vivoit pas dans une nation qui crut la spiritualité et l’immortalité de l’ame[.][68]
On me dit bien que deux mille ans apres[,] dieu est venu aprendre aux hommes que leur ame est immortelle[.] Mais moy qui suis d’une autre MS1: spere [corr. sup. EDC]sphere[,] [53] je ne puis m’empecher d’etre etonné de cette disparate que l’on met sur le compte de dieu. MS1: <ce> il [corr.] Il semble etrange à ma raison MS1: qui [corr. eds.] que dieu MS1: <est> ait [corr. sup. EDC] ait fait croire aux hommes le pour et le contre; mais sy c’est un point de Kehl: relationrevelation où ma raison ne voit goute, je me tais et j’adore en silence, ce n’est pas à moy d’examiner ce qui a eté revelé, je remarque seulement que ces livres revelez ne disent point que l’ame soit spirituele, ils nous disent seulement qu’elle est immortelle, je n’ay aucune peine à le croire, car il paroit aussy possible MS1: <de> à [corr. EDC] à dieu de l’avoir formée (de quelque nature qu’elle soit) pour la conserver, que pour la detruire, ce dieu qui peut comme il luy plait conserver ou aneantir le mouvement d’un corps peut assurement MS1: fairer [corr. eds.] faire durer à jamais la faculté de penser dans une partie de ce corps. S’il nous a dit en effet que cette partie est immortelle, il faut en etre Kehl: persuadépersuadez.
Mais de quoy cette ame Kehl: est-elleest faitte[,] c’est ce que l’etre supreme n’a pas jugé à propos d’aprendre aux hommes[.] N’ayant donc pour me conduire dans ces recherches [54] que mes propres lumieres, l’envie de connoitre quelque chose, et la sincerité de mon coeur, je cherche Kehl: avec sinceritéavec cette sincerité ce que ma raison Kehl: me peutpeut me decouvrir par elle meme, j’essaie ses forces non pour la croire capable de porter tous ces poids immenses[,] mais pour la fortifier par cet exercice, et pour m’aprendre jusqu’où va son pouvoir. Ainsy toujours prest à ceder dès que la revelation me presentera ses barrieres[,] je continue mes reflections et mes conjectures uniquement comme philosophe, jusqu’à ce que ma raison ne puisse plus avancer.
Chapitre sixieme
Sy ce qu’on apelle ame est immortelle
Ce n’est pas icy le lieu d’examiner si en effet dieu a revelé l’immortalité de l’ame; je me supose toujours un philosophe d’un autre monde que celuy cy et qui ne juge que par ma raison; cette raison m’a apris que toutes les idées des hommes et des animaux leur viennent par les sens[.] Et j’avoue que je ne peux m’empecher de rire lors qu’on me dit que les hommes MS1: <aurons> auront [corr. EDC] auront encore des idées [55] quand ils MS1: <n’aurons> n’auront [corr.] n’auront plus de sens[.] Lors qu’un homme a perdu son nez[,] ce nez perdu n’est MS1: non [add. sup.] non plus une partye de luy meme, que l’etoile polaire;[69] qu’il perde toutes ses parties, et qu’il ne soit Kehl: plus un hommeplus homme, n’est il pas un peu etrange alors de dire qu’il luy reste le resultat de tout ce qui a peri[?] J’aimerois autant dire qu’il boit et mange apres sa mort que de dire qu’il luy reste des idées apres sa mort, l’un n’est pas plus inconsequent que l’autre, et certainement il a falu bien des siecles avant qu’on ait ozé faire une si étonnante supposition[.] Je sais bien encore une fois que dieu[,] ayant attaché à une partie du cervau la faculté d’avoir des idées, il peut conserver cette petite partie du cervau avec sa faculté. Car de conserver cette faculté sans la partie, cela est aussy impossible que de conserver le rire d’un homme, ou le chant d’un MS1: oiseaux [corr. eds.]oiseau apres la mort de l’oiseau et de l’homme. Dieu peut Kehl: aussi avoiravoir aussy donné aux hommes et aux animaux une ame simple, immaterielle et la conserver independemment de MS1: leurs [corr. eds.] leur corps, cela luy est ausy possible que de creer un million de mondes de plus [56] qu’il n’en a crées, de donner aux hommes deux nez et MS1: quatres [corr. eds.] quatre mains, des ailes et des griffes[,] mais pour croire qu’il a fait en effet toutes ces choses possibles, il me semble qu’il faut les voir.
Ne voyant donc point que l’entendement[,] la sensasion de l’homme soit une chose immortelle, qui me prouvera qu’elle l’est? Quoy[,] moy qui ne sais point quelle est la nature de cette chose, j’afirmeray qu’elle est Kehl: éternelle? moieternelle sans la connoitre[,] moy qui sais que l’homme n’etoit pas hier[,] j’afirmeray qu’il y a dans cet homme une partie eternelle par sa nature, et tandis que je refuseray l’immortalité à ce qui anime ce chien, ce Kehl: perroquet, cetteperroquet et cette grive, je l’accorderay à l’homme par la raison que l’homme le desire[?]
Il seroit bien doux en effet de survivre à soy meme, de conserver eternellement la plus excellente partie de son etre dans la destruction de l’autre, de Kehl: vivrerevivre à jamais avec ses amis, &c. Cette chimere (à l’envisager en ce seul sens) seroit consolante dans des miseres reeles[.] Voyla peutetre pourquoy on inventa autrefois le sisteme de la metempsicose[,] mais ce sisteme a t’il plus de vraisemblance que les mille et [57] une nuit? Et n’est il pas un fruit de l’imagination vive et absurde de la plus part des philosophes orientaux[?] Mais je suppose malgré toutes les MS1: vraisemblance [corr. eds.] vraisemblances que dieu conserve apres la mort de l’homme ce qu’on appelle son ame, et qu’il abandonne l’ame de la brute au train de la destruction ordinaire de toutes choses[.] Je demande ce que l’homme y gagnera? Je demande ce que l’esprit de Jacques a de commun avec Jacques, quand il est mort.
Kehl:
[omitted]
Le lecteur aura besoin icy d’un
peu d’attention
Ce qui constitue la personne de Jacques[,] ce qui fait que Jacques est soy meme, et le meme qu’il etoit hier à ses propres yeux, c’est qu’il se ressouvient des idées qu’il avoit hier[,] et que dans son entendement il unit son MS1: <[illegible]> existence [corr.] existence d’hier, à celle d’aujourd’huy[,] car s’il avoit entierement perdu la memoire, son existence passée luy seroit aussy etrangere que celle MS1: d’une [corr. eds.] d’un [58] autre homme, et il ne seroit pas plus le Jacques d’hier[,] la meme personne[,] qu’il seroit Socrate et Cesar[.] Or MS1: <Jaques> je supose que Jaques [corr. sup. EDC]je supose que Jaques dans sa derniere maladie MS1: <perd> a perdu [corr. sup. EDC]a perdu absolument la memoire et meurt par consequent sans etre ce meme Jacques qui a vecu. Dieu rendra t’il à son ame cette memoire qu’il a perdue? Creera t’il de nouveau ces idées qui n’existent plus[?] En ce cas, ne sera MS1: ce [add. sup.] ce pas un homme tout nouveau[,] aussy different du premier qu’un Indien, l’est d’un K: European? [see also below]European? Cette dificulté MS1: vaux [corr. eds.]vaut bien la peine d’etre proposée, et celuy qui MS1: <[illegible]> trouvera [corr.] trouvera une maniere sure de donner l’equation de cette inconnue, sera je pense un habile homme[.]
MS1: [passage added by EDC in the right-hand column of pages 58 and 59; in the Kehl edition this commentary, with variants, has become part of the main text] Mais K: Mais on peut dire aussi que Jacques ayantsi c’est la faculté pensante de Jaques, son ame enfin qui a de la memoire, come cette ame est conservée dans l’hipotese[,] sa memoire ne perira point, et il sera toujours le meme Jaques, donc il faut suposer que Jaques aura entierement perdu la memoire avant de K: mourir, son âme pourra lamourir, mais son ame ne poura t-elle pas la recouvrer[,] de meme qu’on la recouvre aprés l’evanoüissement, ou aprés un transport au cerveau; car un home qui a entierement perdu la memoire dans une grande maladie ne cesse pas d’etre le meme homme, lorsqu’il a recouvré la memoire, donc l’ame de Jaques[,] s’il en a une et qu’elle soit immortelle par la volonté du createur[,] come on le K: suppose, pourrasupose dans l’hipotese [59] poura recouvrer Kehl: lasa memoire aprés sa mort tout come elle la recouvre aprés l’evanoüissement pendant la vie, donc Jaques sera le meme K: homme. ¶Ces difficultés valent bien la peine d’être proposées, & celui qui trouvera une manière sûre de résoudre l’équation de cette inconnue, sera je pense un habile homme.homme Q.E.D.[70]
Je n’avance pas d’avantage dans ces Kehl: tenebres, jetenebres, et je m’arrete où la lumiere de mon flambeau me manque, c’est assez pour moy que je voie jusqu’où je peux aller, je n’assure point que j’aye des demonstrations contre [59] la spiritualité et l’immortalité de l’ame[,] mais toutes les vraisemblances sont contre Kehl: elleselle, et il est egallement injuste et deraisonnable de vouloir une demonstration dans une recherche qui n’est susceptible que de conjectures.
Seulement il faut prevenir l’esprit de ceux qui croiroient la mortalité de l’ame contraire au bien de la societé, et les faire souvenir que les anciens juifs[,] dont ils admirent les loix[,] MS1: <croyoit> croyoient [corr. EDC] croyoient l’ame materielle et mortelle, sans compter de grandes sectes de philosophes qui valoient bien les juifs et qui etoient de fort honnestes gens[.]
[60]
Chapitre Kehl: VIIsixieme
Si l’homme est libre[71]
Peutetre n’y a t’il pas de question plus simple que celle de la liberté, mais il n’y en a point que les hommes MS1: <est> ayent [corr. sup. EDC] ayent plus MS1: embrouillée<z> [corr.] embrouillée. Les difficultés dont les philosophes ont MS1: <heriffé> herissé [corr. sup. EDC] herissé cette matiere[,] et la temerité qu’on a toujours eu de vouloir arracher de dieu son secret, et de consilier sa presience avec le libre arbitre, sont Kehl: causecauses que MS1: <[illegible]> l’idée [corr. EDC] l’idée de la liberté MS1: <cest> s’est [corr. EDC]s’est obscurcie à force de pretendre l’eclaircir, on s’est sy bien accoutumé à ne plus prononcer ce mot liberté sans se ressouvenir de toutes les difficultés qui marchent à sa suitte, qu’on ne s’entend presque plus à present quand on demande sy l’homme est libre.
Ce n’est plus icy le lieu de [61] feindre un etre MS1: <[illegible]> doüé de [corr.] doüé de raison, lequel n’est point homme, et qui éxamine avec indiference ce que c’est que l’homme,[72] c’est icy au contraire qu’il faut que chaque homme rentre dans soy meme[,] et qu’il se rende temoignage de son propre sentiment[.]
Depoüillons d’abord la question de toutes les chimeres dont on a coutume de l’embarasser[,] et definissons ce que nous entendons par ce mot liberté,[73] la liberté est uniquement le pouvoir d’agir,[74] sy une piere se mouvoit par son choix[,] elle seroit libre, les animaux et les hommes ont ce pouvoir, donc ils sont libres. Je puis à MS1: touttes [corr. eds.] toutte force contester cette faculté aux animaux, je puis me figurer[,] sy je veux abuser de ma raison[,] que les bestes[,] qui me ressemblent en tout le reste[,] different de moy [62] en ce seul point, je puis les concevoir comme des machines qui n’ont ny Kehl: sensationssensation, ny dezirs, ny volonté, quoy qu’elles en aient touttes les apparances,[75] je forgeray des sistemes, c’est à dire des erreurs pour expliquer leur nature; mais enfin quand il Kehl: s’agira defaudra m’interroger moy meme[,] il faudra bien que j’avoue que j’ay une volonté et que j’ay en moy le pouvoir d’agir, de remuer mon corps, d’apliquer ma pensée à telle Kehl: ou telleou à telle consideration &c.[76] Si quelqu’un vient me dire[,] vous MS1: [illegible] croyez [corr. sup. EDC] croyez avoir cette volonté[,] mais vous ne l’avez pas, vous avez un sentiment qui vous trompe[,] comme vous croyez voir le soleil large de deux pieds[,] quoyqu’il soit en grosseur par raport à la terre MS1: <comme 500000> à peu prés come un milion à l’unité [corr. sup. EDC] à peu prés come un milion à l’unité[.]
Je repondray à ce quelqu’un[,] Kehl: le cas est différentce cas est fort different[,] dieu MS1: <ne m’a point> ne m’a point [repetition] ne m’a point trompé, en me faisant voir ce qui est [63] eloigné de moy, d’une grosseur proportionnée à sa distance, telles sont les loix mathematiques de l’optique, que je ne MS1: puis [add. sup. EDC] puis et ne dois apercevoir les objets qu’en raison directe de leur grosseur et de leur eloignement, et telle est la nature de mes organes que si ma vuë pouvoit apercevoir la grandeur reele d’une étoile, je ne pourois voir aucun objet sur la terre[.] Il en est de meme Kehl: dudes sens de l’oüie, et de celuy de l’odorat, je n’ay Kehl: lesces sensations plus ou moins fortes (touttes choses egales) que selon que les corps sonores et odoriferans sont plus ou moins loin de moy, il n’y a en cela aucune erreur, mais si je n’avois point de volonté croyant en avoir une, dieu m’auroit crée exprés pour me tromper, de meme que s’il me faisoit croire qu’il y a des corps hors de moy[,] quoy qu’il n’y en eut pas; et il ne resulteroit [64] MS1: <il ne resulteroit> rien [repetition] rien de cette tromperie[,] si non MS1: un [corr. eds.] une absurdité dans la maniere d’agir d’un etre supreme infiniment sage[.][77]
Et qu’on ne dise pas MS1: illegible qu’il [corr. EDC] qu’il est indigne d’un philosophe de recourir icy à dieu, car premierement[,] ce dieu etant prouvé, il est demonstré que c’est luy qui est la cause de ma liberté, en MS1: <ce> cas [corr. EDC] cas que je sois libre, MS1: <qui> et qu’il [corr. EDC]et qu’il est l’auteur absurde de mon erreur, sy m’ayant fait un etre purement patient, sans volonté, il Kehl: mem’a fait accroire que je suis agent et que je MS1: <veux> suis libre [corr. EDC] suis libre[.][78]
Secondement s’il n’i avoit point de dieu, qui esce qui Kehl: m’auraitm’aura jetté dans l’erreur[,] qui Kehl: m’auraitm’aura donné ce sentiment de liberté, en me mettant dans l’esclavage? Kehl: SeraitSera ce une matiere qui d’elle meme ne peut avoir l’intelligence? Je ne puis etre instruit ny trompé par la matiere[,] ni recevoir d’elle la faculté de vouloir. Je ne puis avoir recu de dieu le sentiment de ma volonté sans en avoir une, donc j’ay reellement une volonté, donc je suis un agent.
Vouloir, et agir c’est precisement la [65] meme chose qu’etre libre. Dieu luy meme ne peut etre libre que dans ce sens. Il a voulu et il a MS1: agit [corr. eds.] agi selon sa volonté[.] MS1: <determinée> Si on suposoit sa volonté determinée [corr. sup. EDC] Si on suposoit sa volonté determinée necessairement[,] si on disoit[,] il a eté necessité à vouloir ce qu’il a fait, on tomberoit dans une aussy grande absurdité, que si on disoit[,] il y a un dieu, et il n’i a point de dieu[,] car si dieu etoit necessité[,] il ne seroit plus agent, il seroit patient, et il ne seroit plus dieu.[79]
Il ne faut jamais perdre de vuë ces verités fondamentales enchainées les unes aux autres, il y a quelque chose qui existe, donc quelque etre est de toute eternité[,] donc MS1: cette [corr. eds.]cet etre existe par luy meme d’une necessité absolue, donc il est infini, donc tous les autres etres viennent de luy, sans qu’on sache comment[,] donc il a pu leur MS1: communiqué [corr. eds.] communiquer la liberté, comme il leur a communiqué le mouvement, et la vie, donc il nous a MS1: donnéz [corr. eds.] donné cette liberté que nous sentons en nous, comme il nous a donné la vie que nous sentons en nous.
La liberté dans dieu est le pouvoir de penser toujours tout ce qu’il veut et d’operer toujours tout ce qu’il veut[.]
La liberté donnée de dieu à [66] l’homme est le pouvoir foible[,] limité et passager, de s’apliquer à quelques pensées et d’operer certains mouvements[.] La liberté des enfans qui ne reflechissent point encore et des especes d’animaux qui ne reflechissent jamais, consiste à vouloir et à operer des mouvements seulement.[80] Sur quel fondement Kehl: a-t-on pua t’on donc pu imaginer qu’il n’i a point de liberté[?] Voici les causes de cet erreur. On a d’abord remarqué que nous avons souvent des passions violentes qui nous entrainent malgré nous. Un homme voudroit ne pas aimer une maitresse infidelle, et ses dezirs plus MS1: fort [corr. eds-]forts que Kehl: lasa raison le ramenent vers elle, on s’emporte à des actions violentes, dans des mouvements de colere qu’on ne peut maitriser. On souhaite de mener une vie tranquile et l’ambition nous rejette dans le tumulte des affaires.
Tant de chaines visibles dont nous sommes accablez pres que toutte notre vie, ont fait croire que nous sommes liez de meme dans tout le reste, et on a dit[,] l’homme est tantost emporté avec une rapidité et des secousses violentes dont il sent [67] l’agitation, tantot il est mené par un mouvement paisible dont il n’est pas plus le maitre. C’est un esclave qui ne sent pas toujours le poids et la fletrissure de ses fers, mais il est toujours esclave.[81]
Ce raisonnement[,] qui n’est que la logique de la foiblesse humaine[,] est tout semblable à celuy ci, les hommes sont malades quelquefois, donc ils n’ont jamais de santé[.]
Or qui ne MS1: <vois> voit [corr. sup. EDC] voit l’impertinence de cette conclution! Qui ne MS1: <vois> voit [corr. sup. EDC] voit au contraire que de sentir sa maladie est une preuve indubitable qu’on a eu de la santé, et que sentir son esclavage et son impuissance prouve invinciblement qu’on a eü de la puissance et de la liberté.[82]
Lors que vous aviez cette passion furieuse[,] votre volonté n’etoit plus obeïe par vos sens, alors vous n’etiez pas plus libre que lorsqu’une paralisie vous empeche de mouvoir ce bras que vous voulez remuer[.][83] Si un homme etoit MS1: touttes [corr. eds.] toutte sa vie dominé par des passions violentes ou par des images qui occupassent sans cesse son cervau, il luy manqueroit cette partie de l’humanité qui consiste à pouvoir penser quelquefois ce qu’on veut[,] [68] et c’est le cas où sont plusieurs fous qu’on renferme et meme bien d’autres qu’on MS1: <enferme> n’enferme [corr. EDC]n’enferme pas.
Il est bien certain qu’il y a des hommes plus libres les uns que les autres, par la meme raison que nous ne sommes pas tous egalement eclairez, egalement robustes &c. La liberté est la santé de l’ame[,][84] peu de gens ont cette santé entiere et inalterable, notre liberté est foible et bornée comme toutes nos autres facultés, nous la fortifions en nous accoutumant à faire des reflections, et cette exercice de l’ame la rend un peu plus vigoureuse, mais MS1: quelque [corr. eds.] quelques efforts que nous fassions[,] nous ne pourons jamais parvenir à rendre notre raison souveraine de tous nos dezirs[.] Il y aura toujours dans notre ame comme dans notre corps des mouvements involontaires, nous ne sommes ni libres, ny MS1: sage [corr. eds.] sages, ny forts, ny sains, ny MS1: spirituele [corr. eds.] spirituels que dans un tres petit degré[.][85] Si nous etions toujours libres, nous serions ce que dieu est. Contentons nous d’un partage convenable au rang que nous tenons dans la nature, mais ne nous figurons pas que nous manquons des choses memes [69] dont nous sentons la jouissance[,] et parce que nous n’avons pas Kehl: cesles atributs d’un dieu[,] ne renonçons pas aux facultés d’un homme[.][86]
Au milieu d’un bal ou d’une conversation vive[,] ou dans les douleurs d’une maladie qui apesantira ma tete[,] j’auray bau vouloir MS1: cherché [corr. eds.] chercher combien fait MS1: les [corr. eds.] la trante cinquieme partie de quatre vingt quinze tiers et demy Kehl: multipliésmultipliée par vingt cinq dix neufviemes et trois quarts[.] Je n’auray pas la liberté de faire une combinaison pareille, mais un peu de receuillement me rendra cette puissance que j’avois perdue dans le tumulte. Les ennemis les plus MS1: <[illegible]> déterminées [corr.] determinés de la liberté sont donc forcés MS1: d’avouer [add. sup. EDC] d’avouer que nous avons une volonté qui est obeïe quelquefois par nos sens: MS1: [passage marked with running quotation marks]mais cette volonté[,] disent-ils[,] est necessairement determinée comme une balance toujours emportée par le plus grand poids.[87] L’homme ne veut MS1: pas [corr. eds.]que ce qu’il juge le meilleur, MS1: <sont> son [corr. EDC] son entendement n’est pas le maitre de ne pas juger bon ce qui luy paroit bon, l’entendement [70] agit necessairement, la volonté est determinée par l’entendement, donc la volonté est determinée par une volonté absolüe, donc l’homme n’est pas libre.[88]
Cet argument qui est tres eblouissant, mais qui dans le fond n’est qu’un sophisme[,] a seduit beaucoup de monde[,] parce que les hommes ne font presque jamais qu’entrevoir ce qu’ils examinent.
Voici en quoy consiste le defaut de ce raisonnement. L’homme ne peut certainement vouloir que les choses dont l’idée luy est presente[,] il ne pouroit avoir envie d’aller à l’opera, s’il n’avoit l’idée de l’opera, et il ne souhaiteroit point d’y aller, et ne se determineroit point à y aller, sy son entendement ne luy representoit Kehl: pointpas ce spectacle comme une chose agreable[.] Or c’est en cela meme que consiste sa liberté, c’est dans le pouvoir de se determiner soy meme à faire ce qui luy paroit bon, vouloir ce qui ne luy feroit pas plaisir est une contradiction formelle et une impossibilité. L’homme MS1: <ce> se [corr. EDC] se determine à ce qui luy semble [71] le Kehl: meilleur, et celameilleur[,] cela est incontestable[,][89] mais le point de la question est de savoir s’il a en soy cette force mouvante[,] ce pouvoir premitif de MS1: <ce> se [corr. EDC] se determiner ou non[.] Ceux qui disent[,] l’assentiment de l’esprit est necessaire et determine necessairement la volonté[,] suposent que l’esprit agit phisiquement sur la volonté, MS1: ils disent une absurdité visible [add. EDC in a large space left blank by the scribe]ils disent une absurdité visible[,] car MS1: <il> ils [corr. EDC]ils suposent qu’une pensée est un petit etre reël qui agit reëllement sur un autre etre nommé la volonté, et ils ne font pas reflection que ces mots la volonté, MS1: <et> l’entendement [corr.] l’entendement &c. ne sont que des idées abstraites inventées pour mettre de la clarté et de l’ordre dans nos discours, et Kehl: quiqu’ils ne signifient autre chose[,] si non l’homme pensant et l’homme voulant. L’entendement et MS1: [underline eds.] la volonté n’existent donc pas reëllement comme Kehl: desdeux etres differents et il est impertinent de dire que l’un agit sur l’autre.[90]
S’ils ne suposent pas que l’esprit [72] agisse phisiquement sur la volonté[,] il faut qu’ils disent ou que l’homme est libre, ou que dieu agit pour l’homme, determine l’homme, et est eternellement occupé à tromper l’homme, auquel cas ils avouënt au moins que dieu est libre. Si dieu est libre, la liberté est donc possible, l’homme peut donc l’avoir, ils n’ont donc aucune raison pour dire que l’homme ne l’est pas.
Ils ont bau dire[,] l’homme est determiné par le plaisir, c’est confesser sans qu’ils y pensent sa liberté, puis que faire ce qui fait plaisir; c’est etre MS1: <libres> libre [corr. EDC] libre[.][91]
Dieu encore une fois ne peut etre Kehl: libre delibre que de cette facon.[92] Il ne peut operer que selon son plaisir, tous les sophismes contre la liberté de l’homme attaquent egalement la liberté de dieu.
Le dernier refuge des ennemis de la liberté est cet argument cy.
MS1: [passage marked with running quotation marks]Dieu sait certainement qu’une chose arrivera, il n’est donc pas au pouvoir de l’homme de ne la pas faire[.]
Premierement, remarqués que cet [73] argument attaqueroit encore cette liberté qu’on est obligé de reconnoitre dans dieu. On peut dire[,] dieu sait ce qui arrivera[,][93] il Kehl: n’est pasn’est donc pas en son pouvoir de ne pas faire ce qui arrivera. Que prouve donc ce raisonnement tant rebatu? Rien autre chose[,] sinon que nous ne savons Kehl: & neet que nous ne pouvons savoir ce que c’est que la prescience de dieu, et que tous ses attributs sont pour nous des abimes impenetrables.[94]
Nous savons demonstrativement que si dieu existe[,] dieu est libre, nous savons en meme tems qu’il sait tout, mais cette prescience et cette omniscience sont aussy incomprehensibles pour nous que son immensité, sa durée infinie deja passée, sa durée infinie à venir, la creation, la conservation de l’univers, et tant d’autres choses que nous ne pouvons ny nier ny connoitre.[95]
Cette dispute sur la presience de dieu n’a causé tant de querelles que parce qu’on est ignorant, et presomtueux, que [74] coutoit-il de dire[,] je ne sais point ce que sont les atributs de dieu et je ne suis point fait pour embrasser son essence, mais c’est ce qu’un bachelier ou licentié se gardera bien Kehl: d’avouër; c’estd’avouër, et c’est ce qui les a rendus les plus absurdes des hommes, et fait d’une science sacrée, un miserable charlatanisme.[96]
Chapitre MS1: 7 [add. EDC]Kehl: VIII7
De l’homme consideré comme un Kehl: êtrehomme sociable[97]
Le grand dessein de l’auteur de la nature semble etre de conserver chaque individu un certain tems et de perpetuer son espece. Tout animal est toujours entrainé par un instinct invincible à tout ce qui peut tendre à sa conservation, et il y a des moments où il est emporté par un instinct presqu’aussy fort à MS1: <l’accomplisement> l’accouplement [corr. EDC] l’accouplement et à la propagation[,] sans que nous puissions jamais dire comment tout cela MS1: <ce> se [corr. EDC] se fait.
Les animaux les plus sauvages et les plus solitaires sortent de leurs tannieres quand l’amour les apelle, et se sentent liez pour MS1: quelque [corr. eds.] quelques mois [75] par des chaines invisibles à des femelles, et Kehl: à desaux petits qui en naissent[,] apres quoy ils oublient cette famille MS1: passageres [corr. eds.] passagere et retournent à la ferocité de leur solitude[,] jusqu’à ce que l’eguillon de l’amour les MS1: <forcent> force [corr. EDC] force MS1: de nouveau [add. sup. EDC] de nouveau à en sortir[.]
Kehl: [no new paragraph]D’autres especes sont formées par la nature pour vivre toujours ensemble, les unes dans une societé reëllement policée, comme les abeilles, les fourmis[,] les castors, et quelques especes d’oiseaux[.][98] Les autres sont seulement rassemblées par un instinct plus aveugle qui les MS1: units [corr. eds.] unit sans objet et sans dessein aparent[,] comme les troupaux sur la terre et les harangs dans la mer[.]
L’homme n’est pas certainement poussé par son instinct à former une societé policée telle que les fourmis et les abeilles. Mais à considerer ses besoins, MS1: <sans> ses [corr. sup. EDC] ses passions, et sa raison, on voit bien qu’il n’a pas du rester longtems dans un état entierement sauvage.
Il sufit pour que l’univers soit ce qu’il est aujourd’huy, qu’un homme ait eté amoureux d’une femme, le soin mutuel qu’ils auront eu l’un de l’autre, et MS1: leurs [corr. eds.] leur amour naturel pour leurs enfans aura bientot éveillé leur industrie, et donné naissance au commencement grossier des arts. Deux familles auront eü [76] MS1: <besoins> besoin [corr. EDC] besoin l’une de l’autre, sitot qu’elles auront MS1: <étées> été [corr. EDC] été formées[,] et de ces besoins seront nées de nouvelles commodités[.][99]
L’homme n’est pas comme les autres animaux qui n’ont que l’insinct de l’amour propre et celuy de l’acouplement. Non seulement il a cet amour propre necessaire pour sa conservation[,] mais il a aussy pour son espece une bienveillance naturelle qui ne se remarque point dans les bestes.[100]
Qu’une chienne voye en passant un chien de la meme mere MS1: <dechirée> dechiré [corr. EDC] dechiré en mille pieces et tout sanglant, elle en prendra un morceau sans concevoir la moindre pitié et continura son chemin[,][101] et cependant cette meme chienne deffendra son petit et mourra en combattant plus tot que de soufrir qu’on MS1: [corr. eds.] [le] luy enleve.
Au contraire que l’homme le plus sauvage voye un joly enfant, prest d’etre devoré par quelque animal[,] il sentira malgré luy une inquietude, une anxieté, que la pitié fait naitre[,] et un dezir d’aller à son secours,[102] il est vray que ce sentiment de pitié et de bienveillance est souvent étouffé par la fureur de l’amour propre, aussy la nature sage ne devoit pas nous donner plus [77] d’amour pour les autres que pour nous meme,[103] c’est deja beaucoup que nous ayons cette bienveillance qui nous dispose à l’union avec les hommes.
Mais cette bienveillance seroit encore un faible secours pour nous faire vivre en societé, elle n’auroit jamais pu servir à fonder de grands MS1: <empire> empires [corr. EDC] empires et des villes florissantes[,] sy nous n’avions pas eü de grandes passions.
Ces passions[,] dont l’abus fait à la verité tant de mal[,] sont en effet la principale cause Kehl: de l’ordredu bel ordre que nous voyons aujourd’huy sur la terre; l’orgueil est surtout le MS1: principale [corr. eds.]principal instrument avec lequel on a bati ce bel edifice de la societé[.] À peine les besoins eurent rassemblé quelques hommes que les plus adroits d’entre eux s’aperceurent que tous ces hommes etoient néz avec un orgueil indomptable aussy bien qu’avec un penchant invincible pour le bien etre.[104]
Il ne fut pas dificile de leur persuader que s’ils faisoient pour le bien commun de la societé quelque chosse MS1: [illegible] qui leur coutat un [corr. sup. EDC] Kehl: qui leur coûtait unqui leur coutat un peu de leur bien etre[,] leur orgueil en seroit amplement dedomagé[.]
[78] On Kehl: distinguadistingue donc de bonne heure les hommes en deux classes[,] la MS1: pre [corr. eds.] premiere des hommes divins qui sacrifient leur amour propre au bien public, la seconde des miserables qui n’aiment qu’eux meme[.][105] Tout le monde MS1: <voulus etre> voulut [corr. EDC] voulut et veut MS1: encore etre [add. EDC]Kehl: être encoreencore etre de la premiere classe, quoy que tout le monde soit dans le MS1: <fond> fonds [corr. EDC]fonds du coeur de la seconde,[106] et les hommes les plus laches et les plus abandonnez à leurs propres dezirs crierent plus haut que les autres qu’il faloit tout immoler au bien MS1: publique [corr.eds.]public[.][107] L’envie de commander[,] qui est une des branches de l’orgueil[,] et qui se remarque aussy visiblement dans un pedant de college et dans un bailly de village que dans un pape et dans un empereur[,] exita encore puissament l’industrie humaine[.] Pour amener les hommes à obeïr à d’autres hommes, il falut leur faire connoitre clairement qu’on en savoit plus qu’eux et qu’on leur seroit utile.
Il falut surtout MS1: <ce> se [corr. EDC?] se servir de leur avarice pour achetter leur obeissance[.] On ne pouvoit leur donner beaucoup sans avoir beaucoup[,] et cette fureur d’acquerir les biens de la terre ajoutoit tous les jours de nouvaux progres à tous les arts.
[79] Cette machine n’eut pas encore MS1: etée [corr. eds.] eté loin sans le secours de l’envie, passion tres naturelle que les hommes deguisent toujours sous le nom d’emulation, cette envie reveilla la paresse et aiguisa le genie de quiconque vit son voisin puissant et heureux[.] Ainsy de proche en proche les passions seules reünirent les hommes, et MS1: <[illegible]> tirerent [corr. EDC] tirerent du sein de la terre tous les arts, et tous les plaisirs[.] C’est avec ce ressort que dieu apellé par Platon l’eternel geometre, et que j’apelle icy l’eternel machiniste MS1: <qui> a [corr. sup. EDC] a animé et Kehl: embelli laembelli toute la nature[.] Les passions sont les roües qui font aller toutes ces machines[.]
Les raissonneurs de nous jours qui veullent etablir la chimere que l’homme etoit MS1: <née> né [corr. EDC] né sans passions[,] et qu’il n’en a eü que pour avoir désobei à dieu, auroient aussy bien fait de dire que l’homme etoit d’abord une belle statüe que dieu avoit MS1: formé [corr. eds.] formée[,] et que cette statüe fut depuis animée par le diable.
L’amour propre et toutes ses branches sont aussy necessaires à l’homme, que le sang qui coule dans ses veines[,] et ceux qui veullent luy oter ses passions, parce qu’elles sont dangereuses[,] ressemblent à celuy qui voudroit [80] oter à un homme tout son sang parce qu’il peut tomber en apoplexie.
Que Kehl: dirions-nousdirons nous de celuy qui Kehl: prétendraitpretendoit que les vents sont une invention du diable[,] parce qu’ils submergent MS1: quelque [corr. eds.] quelques vaissaux[,] et qui ne MS1: <songeoit> songeroit [corr. sup. EDC] songeroit pas que c’est un bienfait de dieu par lequel le commerce reunit tous les MS1: endroit [corr. eds.] endroits de la terre, que des mers immenses divisent[.] Il est donc tres clair que MS1: ces [corr. eds.] c’est à nos passions et à nos besoins que nous devons cet ordre et ces inventions utiles, MS1: donc [corr. eds.] dont nous avons MS1: <enrichis> enrichi [corr. EDC] enrichi l’univers, et il est tres vraisemblable que dieu ne nous a MS1: <donnéz> donné [corr. EDC] donné ces Kehl: besoins, cesbesoins et ces passions qu’afin que notre industrie les tournast à notre avantage, que si beaucoup d’hommmes en ont abusé[,] ce n’est pas à nous à nous plaindre d’un bienfait, dont on a fait un mauvais usage[.] Dieu a daigné mettre sur la terre mille nourritures delicieuses pour l’homme, la gourmandise de ceux qui ont tourné cette nouriture en poison mortel pour eux, ne peut servir de Kehl: reprochereproches contre la providence.
[81]
Chapitre MS1: <9> 8> [corr.
EDC]Kehl: IX8
De la vertu, et du vice
Pour qu’une societé subsistat[,] il faloit des loix, comme il faut des regles à chaque MS1: <jeux> jeu [corr. EDC] jeu [.][108] La plus part de ces loix semblent arbitraires, elles dependent des interests, des passions, et des opinions, de ceux qui les ont inventées, et de la nature du climat où les hommes MS1: <ce> se [corr. sup. EDC] se sont MS1: <assemblées> assemblés [corr. EDC?] assemblés en societé[.] Dans un pays chaud où le vin rendroit furieux, on a jugé à propos de faire un crime d’en boire, en d’autres climats plus froids il y a de l’honneur à Kehl: s’enivrers’en servir[.] Icy un homme MS1: <dois> doit [corr. EDC] doit se contenter d’une femme; là il luy est permis d’en avoir autant qu’il peut en nourrir. Dans un autre pays[,] les peres et les meres suplient les etrangers de vouloir bien coucher avec leurs filles, partout ailleurs une fille qui Kehl: s’estest livrée à un homme est deshonnorée[.] À Sparte on encourageoit l’adultere, à Athenes il etoit puni de mort[.] Chez les Romains les peres eurent droit de vie et de mort sur leurs enfans, en Normandie un pere ne peut pas oter seulement un obole de son bien MS1: <[illegible]> au fils le [corr.] au fils le plus dessobeissant. Le nom de roy est sacré chez beaucoup de nations, et en abomination dans d’autres[.]
Mais tous ces peuples qui se conduisent [82] sy differemment[,] se reünissent tous en ce point qu’ils apellent vertueux ce qui est conforme aux loix qu’ils ont etablies, et criminel ce qui leur est MS1: <contraires> contraire [corr. EDC] contraire.[109] Ainsi un homme qui s’oposera en Hollande au pouvoir arbitraire sera un homme tres vertueux, et celuy qui voudra etablir en France un gouvernement republicain sera condamné au dernier suplice. Le meme juif qui à Metz seroit envoyé aux galeres s’il avoit deux femmes, en aura quatre à Constantinople, et en sera plus estimé des musulmans.
La plus part des loix se contrarient sy visiblement qu’il importe assez peu par MS1: <quels> quelles [corr. EDC] quelles loix un estat se gouverne, mais ce qui importe beaucoup[,] c’est que les loix une fois etablies soient éxecutées, ainsi il n’est d’aucune consequence qu’il y Kehl: ait telles ou telles règles pour les jeux de dés et de cartesest telle, ou telle MS1: <regles> regle [corr. EDC] regle pour les jeux des dez et des cartes[,] mais on ne poura jouër un seul moment[,] si l’on ne suit pas à la rigueur ces regles arbitraires dont on sera convenu.[110] [111]
La vertu et le vice, le bien et le mal moral, est donc en tout pays ce qui est MS1: utile à [we adopt the Kehl reading]utile ou nuisible à la societé, et dans tous les lieux et dans tous les tems[,] celuy qui sacrifie le plus au public est celuy qu’on apellera le plus [83] vertueux; il paroit donc que les bonnes actions ne sont autre chose que les actions dont nous retirons de l’avantage, et les crimes MS1: <et> les [corr. EDC?] les actions qui MS1: nous [corr. sup. EDC] nous sont contraires. La vertu est l’habitude de faire de ces choses qui plaisent aux hommes, et le vice, l’habitude de faire MS1: <des> les [corr.] K: desles choses qui leur deplaisent.
Quoyque ce qu’on apelle vertu dans un climat soit precisement ce qu’on apelle vice dans un autre, et que la plus part des regles du bien et du mal different comme les langages et les habillements[,] cependant il me paroit certain qu’il y a des loix naturelles dont les hommes sont obligés de convenir par tout l’univers malgré qu’ils en ayent.[112] Dieu n’a pas dit à la verité aux hommes[,] voicy des loix que je vous donne de ma bouche, par les MS1: <quels> quelles [corr. EDC] quelles je veux que vous vous gouverniez, mais il a fait dans l’homme ce qu’il a fait dans beaucoup d’autres animaux, il a donné aux abeilles un instinct puissant par lequel elles travaillent et se nourissent ensemble[,] et il a donné MS1: <aux hommes> à l’homme [corr. EDC] à l’homme certains sentiments dont il ne peut jamais se defaire[,] et qui sont le Kehl: les liens éternelslien eternel et les premieres loix de la societé[,] dans laquelle il a preveü que les hommes MS1: <viendroient> vivroient [corr. EDC] vivroient[.]
[84] Kehl: [no new paragraph]La bienveillance pour notre espece est née par exemple avec nous, et agit toujours en nous, à moins qu’elle ne soit combattuë par l’amour propre[,] qui MS1: <dois> doit [corr. EDC] doit toujours l’emporter sur elle[.] Ainsy un homme est toujours porté à assister un autre homme quand il ne luy en coute rien.[113] Le sauvage le plus barbare revenant du carnage, et degoutant du sang des ennemis qu’il a mangéz[,] s’attendrira à la vuë des souffrances de son camarade et luy donnera tous les secours qui MS1: <dependrons> dependront [corr. EDC]dependront de luy.
L’adultere et l’amour des garcons seront permis chez beaucoup de nations[,] mais vous n’en MS1: <trouveray> trouverés [corr. sup. EDC] trouverés aucune dans laquelle il soit permis de manquer à sa parole,[114] parceque la societé peut bien subsister MS1: <entres> entre [corr. EDC] entre des adulteres et des garçons qui s’aiment, mais non pas entre des gens Kehl: qui se feraientqui feroient gloire de se tromper les uns les autres.
Le larcin etoit en honneur à Sparte[,] parce que tous les biens etoient communs. Mais dès que vous avez etabli le tien et le mien[,] il vous sera alors impossible de ne pas regarder le vol comme contraire à la societé et par consequent comme injuste.[115]
[85] Il est sy vray que le MS1: bien <seul> [corr. EDC] bien de la societé est la seule mesure du bien et du mal moral,[116] que nous sommes forcés de changer selon le besoin toutes les idées que nous nous sommes formées du juste et de l’injuste.
MS1: [paragraph add. marg, with marker EDC]Nous avons de l’horreur pour un pere qui couche avec sa fille[,] et nous fletrissons aussi du nom d’incestueux le frere qui abuse de sa soëur, mais dans une colonie naissante, où il ne restera qu’un pere avec un fils et deux filles[,] nous regarderons come une tres bonne action, le soin que Kehl: prendraprendroit cette famille de ne pas laisser perir l’espece[.]
Un frere qui tuë son frere est un monstre, mais un frere qui n’auroit eü MS1: <d’autre> d’autre moyen [corr. EDC]Kehl: d’autres moyensd’autre moyen de sauver sa patrie que de sacrifier son frere seroit un homme divin.
Nous aimons tous la verité et nous en faisons une vertu, parce qu’il est de notre interest de n’etre pas trompez, nous avons MS1: <attachéz> attaché [corr. EDC] attaché d’autant plus d’infamie au MS1: <[illegible]> mensonge [corr. EDC] mensonge[,] que de toutes les mauvaises actions[,] c’est la plus facile à cacher, et celle qui coute le moins à commettre, mais dans combien MS1: <d’occations> d’occasions [corr. EDC] d’occasions, le mensonge ne devient-il pas une vertu heroïque, quand il s’agit par exemple de sauver un ami, celuy qui en ce cas diroit la verité seroit couvert d’oprobre[,] et nous ne mettons gueres de difference entre un homme qui calomnieroit un innocent, MS1: <[illegible]> et [corr. sup. EDC] et un frere qui MS1: <pourait> pouvant [corr. sup. EDC] pouvant conserver la vie de son frere par un mensonge, aimeroit mieux l’abandonner en disant vray. La memoire de m. de Thou[,] qui eut le cou coupé pour n’avoir pas revelé la conspiration de Cinq mars[,] est en MS1: benediction [add. EDC] benediction [86] chez les Français. S’il n’avoit point menti[,] elle auroit eté en horreur.
Mais[,] MS1: me [add. sup. EDC] me dira t’on[,] ce ne sera donc MS1: <pas> que [corr. sup. EDC] que par raport à nous qu’il y aura, du crime et de la vertu? Du bien et du mal moral? Il n’y Kehl: aura donc pointaura point de bien en soy et independant de l’homme[?] Je demanderay à ceux qui font cette question, s’il y a du froid et du chaud, du doux et de l’amer, de la bonne et de la mauvaise odeur, autrement que par raport à nous, n’est il pas vray qu’un homme qui pretenderoit que la chaleur éxiste toute seule seroit un raisonneur tres ridicule, pourquoy MS1: donc <que> [corr. EDC] donc celuy qui pretend que le bien moral existe independemment de nous, raisonneroit-il mieux? Notre bien et notre mal phisique n’ont d’existence que par raport à nous; pourquoy notre bien et notre mal moral seront ils dans un autre cas[?]
Les vuës du createur qui vouloit que l’homme vecut en societé ne sont elles pas sufisament remplies! S’il y avoit quelque loy tombée du Kehl: ciel, qui eutciel[,] laquelle eut enseigné aux humains la volonté de dieu bien clairement, alors le bien moral ne seroit autre chose que la conformité à cette loy. Quand dieu aura dit [87] aux hommes, je veux qu’il y ait tant de royaumes sur la terre, et pas une republique, je veux que les cadets ayent tout le bien des peres, et qu’on punisse de mort quiconque mangera des dindons ou du cochon, alors ces loix deviendront certainement la regle immuable du bien et du mal, mais comme dieu n’a pas daigné, que je sache, se meler ainsy de notre conduitte, Kehl: il faut nous enc’est à nous à nous tenir aux presents qu’il nous a MS1: fait [corr. eds.] faits. Ces presens sont la raison, l’amour propre, la bienveillance pour notre espece, les besoins, les passions, MS1: tous moiens [add. sup. EDC] tous moiens par lesquels nous avons établi la societé.
Bien des gens Kehl: sontseront MS1: <prest> prests [corr. EDC] prests icy à me dire[,] si je trouve mon bien etre à deranger votre societé, à tuer[,] à voler, à calomnier, je ne seray donc retenu par rien, et je pourray m’abandonner sans scrupule à toutes mes passions. Je n’ay autre chose à dire à ces gens là, sinon que probablement ils seront pendus, ainsy que je feray tuer les loups qui MS1: <voudrons> voudront [corr. EDC] voudront enlever mes moutons, c’est precisement pour eux que les loix sont faittes, comme les tuilles ont eté inventées contre la grele, et contre la pluye.
À l’esgard des princes qui ont la force en main, MS1: <et> qui [add. then del. EDC]Kehl: main & quiqui en abusent [88] pour desoler le Kehl: monde, quimonde[,] et qui envoyent à la mort une partye des hommes, et reduisent l’autre à la misere, c’est la faute des hommes s’ils souffrent ces ravages abominables que souvent meme ils honnorent du nom de vertu, ils n’ont MS1: <qu’à> à [corr. sup. EDC]à s’en prendre qu’à eux meme, aux mauvaises loix qu’ils ont faites, ou au peu de courage qui les empeche de faire executer de bonnes loix.
MS1: <Tout> Tous [corr. EDC] Tous ces princes qui ont fait tant de mal aux hommes, sont les premiers à crier que dieu a donné des regles du bien et du mal, il n’y a aucun de ces fleaux de la terre qui ne fasse des actes solemnels de religion, et je ne vois pas Kehl: qu’onque l’on gagne beaucoup à avoir de MS1: <pareils> pareilles [corr. EDC] pareilles regles, c’est un malheur attaché à l’humanité que malgré toute l’envie que nous avons de nous conserver[,] nous nous Kehl: detruisonsdetruisions mutuellement avec fureur, et avec folie. Presque tous les animaux se mangent les uns les autres, et dans l’espece humaine les mâles s’exterminent par la guerre, il semble encor que dieu MS1: <est> ait [corr. sup. EDC] ait prevû cette calamité, en faisant naitre parmi nous plus de mâles que de femeles. En effet les peuples qui semblent avoir songé de plus prés aux Kehl: intérêtsbranches de l’humanité, et qui [89] tiennent des registres exacts des naissances et des morts[,] se sont apercus que l’un portant l’autre il nait tous les ans un douzieme de males plus que de femeles.
De tout ce cy il sera aisé de voir qu’il est tres vraisemblable que tous ces meurtres et ces brigandages sont funestes à la societé sans interesser en rien la divinité.
Kehl: Dieu [no new paragraph]Dieu a mis les hommes et les animaux sur la terre, c’est à eux Kehl: deà s’y conduire de MS1: leurs [corr. eds.] leur mieux, malheur aux mouches qui tombent dans les filets de l’araignée, malheur au taurau qui sera MS1: <attaquez> atttaqué [corr. EDC] attaqué par un lion, et aux moutons qui seront rencontréz par les loups[.] Mais sy un mouton alloit dire à un loup[,] tu MS1: manque [corr. eds.] manques au bien moral, et dieu te punira, le loup luy repondroit[,] je MS1: <fait> fais [corr. EDC] fais mon bien phisique, et il y a aparence que dieu ne se soucie pas trop si je te mange ou non, tout ce que le mouton avoit de mieux à faire[,] c’etoit de ne pas s’ecarter du MS1: bergé [corr. EDC]bergér et du chien qui pouvoit le deffendre.
Plut au ciel qu’en effet un etre supreme nous eut donné des loix et nous eut MS1: proposez [corr. eds.] proposé des peines et des recompenses, qu’il nous eut dit[,] ce cy est vice en Kehl: soit, cecisoy, et ce cy est vertu en soi, mais nous sommes sy [90] loin d’avoir des regles du bien et du mal, que de tous ceux qui ont osé donner des loix aux hommes de la part de dieu, il n’y en a pas un qui ait donné la dixmillieme partie des regles dont nous avons besoin dans la conduitte de la vie.
Sy quelqu’un infere de tout cecy qu’il n’y a plus qu’à s’abandonner sans reserve à toutes les fureurs de ses dezirs efrenéz, et que n’ayant en soy ni vertu ny vice[,] il peut tout faire impunement, il faut d’abord que MS1: cette [corr. eds.] cet homme voie s’il a une armée de cent mille soldats bien affectionez à son service; encor risquera t-il beaucoup en se declarant ainsy Kehl: l’ennemi du genrel’ennemi du reste du genre humain, mais sy cet homme n’est qu’un simple particulier, pour peu qu’il ait de raison[,] il verra qu’il a choisi un tres mauvais parti, et qu’il sera puni infailiblement[,] soit par les chastiments sy sagement inventéz par les hommes contre les ennemis de la societé, soit par la seule crainte du chatiment[,] laquelle est un suplice assez cruel par elle meme[.] Il verra que la vie de ceux qui bravent les loix est d’ordinaire la plus miserable, il est moralement impossible qu’un mechant homme ne soit pas reconnu, et dès qu’il est [91] seulement soupconné[,] il doit s’apercevoir qu’il est l’objet du mepris et de l’horreur. Or dieu nous a sagement douez d’un orgueil qui ne peut jamais soufrir que les autres hommes nous haïssent et nous meprisent, etre meprisé de ceux avec qui l’on vit est une chose que personne n’a jamais pu et ne poura jamais suporter, c’est peutetre le plus grand frein que la nature MS1: <est> ait [corr. sup. EDC] ait mis aux injustices des hommes. C’est par cette crainte mutuelle que dieu a jugé apropos de les lier. Ainsy tout homme raisonnable conclura qu’il est visiblement de son interest d’etre honnete homme. La connoissance qu’il aura du coeur humain, et la persuation où il sera qu’il n’y a en MS1: <luy> soy [corr. sup. EDC] soy ny vertu ny vice, ne l’empechera jamais d’etre bon citoyen, et de remplir tous les devoirs de la vie. Aussy remarque t-on que les philosophes (qu’on batise du nom d’incredules et de libertins) ont eté dans tous les tems les plus honnestes gens du monde. Sans faire icy une liste de tous les grands hommes de l’antiquité[,] on sait que la Motte le Vayer[,] precepteur du frere de Louis 13, Bayle, Lock, Spinoza, MS1: milord Shafterbari, Collins, &c. [add. sup. EDC]milord Shafterbari, Collins, &c. etoient des hommes d’une vertu rigide[,] et ce n’est pas seulement la crainte du mepris des hommes qui a fait leurs vertus[,] [92] c’etoit le goust de la vertu meme, un esprit droit est MS1: <un> honneste [corr. EDC] honneste homme par la meme raison que celuy qui n’a point le goust depravé prefere d’excellent vin de Nuis à du vin de Brie, et des perdrix du Mans à de la chair de cheval[.] Une saine education perpetue ces sentiments chez tous les hommes, et de là est venu ce sentiment universel qu’on apelle honneur dont les plus corrompus ne peuvent se defaire et qui est le pivot de la societé. Ceux qui auroient besoin du secours de la relligion pour etre honnestes gens seroient bien à plaindre, et il faudroit que ce fussent des MS1: montres [corr. eds.] monstres de la societé, s’ils ne trouvoient pas Kehl: endans eux meme les sentiments necessaires à cette societé, et s’ils etoient obligéz d’emprunter d’ailleurs ce qui MS1: <dois> doit [corr. EDC]doit se trouver dans notre nature.
[1] See Voltaire, Notebooks: “Ceux qui ont écrit sur l’homme n’ont jamais considéré l’homme en général. Le père Mallebranche regarde l’homme comme une âme crétienne, la Bruyère comme un français qui a des ridicules etc. Celui qui feroit un traité des chiens devroit il ne parler que des épagneuls? Il y a des hommes noirs, blancs, jaunes, barbus, sans barbes, les uns nez pour penser beaucoup, les autres pour penser très peu, etc.” (OCV, vol. 81, p. 348-349).[2] Nicolas Malebranche, De la recherche de la vérité, in particular book I, ch. 1, “De la nature et des propriétés de l’entendement”; book III, part II, ch. 6, “Que nous voyons toutes choses en Dieu”; and book V, ch. 2, “De l’union de l’esprit avec les objets sensibles”. Voltaire had two editions in his library: De la recherche de la vérité où l’on traite de la nature de l’esprit de l’homme, & de l’usage qu’il en doit faire pour éviter l’erreur dans les sciences. 5e édition revue & augmentée de plusieurs éclaircissements, Paris, M. David, 1700, 3 vol. (BV 2276); De la recherche de la vérité où l’on traitte de la nature de l’esprit de l’homme, & de l’usage qu’il en doit faire pour éviter l’erreur dans les sciences. 7e édition, revue & augmentée de plusieurs éclaircissements, Paris, C. David, 1721, 4 vol. (BV 2277). The 1700 edition is heavily annotated by Voltaire (CNM, vol. 5, p. 485-504). Émilie Du Châtelet read the 1721 edition, where a passage (“La plus belle, la plus agréable, et la plus nécessaire de toutes nos connoissances, est sans doute la connoissance de nous-mêmes. De toutes les sciences humaines, la science de l’homme est la plus digne de l’homme. Cependant cette science n’est pas la plus cultivée, ni la plus achevée que nous ayons: Le commun des hommes la neglige entierement.”) carries a marginal note by Émilie Du Châtelet, “the proper studi / of mankind is / man, p[ope] essay on man” (CNM, vol. 5, p. 505-507, p. 506). This is a quotation from Epistle II of An essay on man, a poem of which Émilie was reading Epistle IV in February 1736 (E60r).[3] This satirical description reminds one of the twenty-fifth of the Lettres philosophiques, “Sur les Pensées de M. Pascal”: “Il me paraît qu’en général l’esprit dans lequel M. Pascal écrivit ses Pensées était de montrer l’homme dans un jour odieux. Il s’acharne à nous peindre tous méchants et malheureux. Il écrit contre la nature humaine à peu près comme il écrivait contre les jésuites. [...] J’ose prendre le parti de l’humanité contre ce misanthrope sublime.” (1734; Lettres philosophiques, ed. Olivier Ferret and Antony McKenna, Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 164).[4] Malebranche, De la recherche de la vérité, book IV, ch. 2 (4), “L’Immortalité de l’âme contestée par quelques personnes”.[5] As W. H. Barber points out, the syntax seems to indicate Pascal, but the statement is more precisely true of Descartes.[6] W. H. Barber draws attention to Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes habités, “Quatrième soir”: “Quoi que ce puisse être que le soleil, il ne paraît nullement propre à être habité. C’est pourtant dommage; l’habitation serait belle: on serait au centre de tout, on verrait toutes les planètes tourner régulièrement autour de soi; au lieu que nous voyons dans leurs cours une infinité de bizarreries, qui n’y paraissent que parce que nous ne sommes pas dans le lieu propre pour en bien juger, c’est-à-dire, au centre de leur mouvement.” There is now no separate edition of the Entretiens in Voltaire’s library, but they are included in Bernard Le Bouvier de Fontenelle, Œuvres diverses de M. de Fontenelle, de l’Académie françoise. Nouvelle édition augmentée, Paris, Michel Brunet, 1724, vol. 1 (BV 1363), the volumes of which were annotated by both Émilie Du Châtelet and Voltaire.[7] This is the first known mention by Voltaire of the device of the extra-terrestrial observer, which was to be developed further in the Voyage du baron de Gangan (1739), of which only a fragment is known, and which was ultimately to become Micromégas, published in 1751. For the numerous literary models and influences, starting with Lucian, see Micromégas, ed. Nicholas Cronk and J. B. Shank, OCV, vol. 20C, 2017, p. 1-112.[8] The sixteen planets correspond to the six major planets then known to astronomy: Mercury, Venus, Earth, Mars, Jupiter and Saturn, with their ten known satellites: the Moon, the four satellites of Jupiter and the five of Saturn, as described by Jean-Dominque Cassini in his De l’origine et du progrès de l’astronomie et de son usage dans la géographie et dans la navigation, published in the Recueil d’observations faites en plusieurs voyages par ordre de Sa Majesté pour perfectionner l’astronomie et la géographie. Avec divers traitez astronomiques par messieurs de l’Académie royale des sciences, Paris, Imprimerie royale, 1693, where one also finds one of his other memoirs Les Hypotheses & les Tables de Satellites de Jupiter réformés sur de nouvelles observations, in which he describes his discovery of the four new satellites of Jupiter. De l’origine et du progrès de l’astronomie is no longer present in Voltaire’s library, but he asked Moussinot to obtain the work in a letter of 12 [April 1736] (D1058). Which is the source of the fourteen planets first mentioned? Could it be John Keill’s An introduction to the true astronomy, or, astronomical lectures, read in the Astronomical School of the University of Oxford (London, B. Lintot, 1721)? It reads, ch. 4: “Since therefore all Astronomers do unanimously agree, that the Law we have above explained, is constantly observed by 14 great Bodies, of which there are more than one that turn round a common Center, vix. five Primary Planets and nine Secondaries” (p. 34). This work is no longer present in Voltaire’s library, but is recorded by Havens & Torrey, p. 174, no 1552. It also appears in the list of Voltaire’s English books proposed by his friend Rieu to Catherine II, see Sergueï Karp, Quand Catherine II achetait la bibliothèque de Voltaire, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 1999, p. 36, no 21.[9] Amas de boue: expression used by Fénelon in Les Aventures de Télémaque, book VIII, where the gods of Olympus “voient le globe de la terre comme un petit amas de boue”. Voltaire uses the expression again a few years later, in the Poème sur le désastre de Lisbonne: “Atomes tourmentés sur cet amas de boue” (OCV, vol. 45A, p. 347).[10] Cafrerie: “grand pays situé dans la partie méridionale de l’Afrique, borné au nord par l’Abyssinie & la Nigritie; à l’occident par la Guinée & le Congo; au sud par le cap de Bonne-Espérance; à l’orient par l’Océan. Les habitans de cette contrée sont negres & idolatres. Ce pays est peu connu des Européens, qui n’ont point encore pû y entrer bien avant: cependant on accuse les peuples qui l’habitent d’être anthropophages.” (Encyclopédie, t. II, p. 529).[11] This passage comparing man with animals has a parallel in the first version of Letter XIII, “Sur M. Locke” of the Lettres philosophiques, published in 1738, but in circulation from 1733 onwards: “prenons un enfant à l’instant de sa naissance, et suivons pas à pas le progrès de son entendement. [...] Le jour que sa mère est accouchée de lui et de son âme, il est né aussi un chien dans la maison, un chat, et un serin. Au bout de trois mois j’apprends un menuet au serin, au bout d’un an et demi je fais du chien un excellent chasseur, le chat au bout de six semaines fait déjà tous ses tours, et l’enfant au bout de quatre ans ne fait rien du tout. [...] je crois d’abord que le chien, le chat et le serin sont des créatures très intelligentes, et que le petit enfant est un automate. Cependant petit à petit je m’aperçois que cet enfant a aussi des idées, de la mémoire, qu’il a les mêmes passions que ces animaux, et alors j’avoue qu’il est aussi, comme eux, une créature raisonnable. Il me communique différentes idées par quelques paroles qu’il a apprises, de même que mon chien par des cris diversifiés me fait exactement connaître ses divers besoins. J’aperçois qu’à l’âge de 6 ou 7 ans l’enfant combine dans son petit cerveau presque autant d’idées que mon chien de chasse dans le sien. Enfin il atteint avec l’âge un nombre infini de connaissances. Alors que dois-je penser de lui? irai-je croire qu’il est d’une nature tout à fait différente? non, sans doute” (Lettres philosophiques, ed. Olivier Ferret and Antony McKenna, Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 253-254; see also p. 420-421, 538-541).[12] Goa was familiar to French readers as an important center of church activity in the East. This is how Jaucourt describes Goa in the Encyclopédie: “Goa étoit alors [1552] la clé du commerce d’orient, & l’une des plus opulentes villes du monde: c’étoit encore l’endroit où il se vendoit le plus d’esclaves, & l’on y trouvoit même à acheter les plus belles femmes de l’Inde. Tout cela n’a plus lieu; il ne reste à Goa qu’un viceroi, un inquisiteur, des moines, & une dixaine de mille habitans de nations & de religions différentes, tous réduits à une extrème misere; mais l’on y garde toûjours dans un superbe tombeau de l’église des Jésuites, le corps de S. François Xavier, surnommé l’apôtre des Indes.” (vol. 7, p. 728). Charles Dellon, a French doctor, published in 1688 a Relation de l’Inquisition à Goa, where he tells his own experiences of that institution. Voltaire had in his library an edition of 1737 (BV 973).[13] The Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture de Jean-Baptiste Dubos had appeared anonymously in 1719, a second much enlarged edition came out under his name in 1733. Voltaire has in his library a copy of the fourth edition of 1740 (BV 1110). We do not know when Voltaire and Émilie Du Châtelet read the work, but it is clear that they had done so by 24 October 1736, when Voltaire writes to Berger from Cirey: “Ne m’oubliez pas auprès de mrs Dubos & Melon. Nous ne jetons point au feu les réflexions sur la peinture, ni la Ligue de Cambrai, ni l’essai sur le commerce: libellum aureum” (D1181). The passage alluded to here is to be found in volume 2, the opening pages of section 15: “Le pouvoir de l’air sur le corps humain prouvé par le caractere des nations”, where Dubos argues that, since all men are descended from Adam, racial and national differences are attributable to climat and environment.[14] Note de l’édition de Kehl: “(1) Toutes ces différentes races d’hommes produisent ensemble des individus capables de perpétuer, ce qu’on ne peut pas dire des arbres d’espèce différente; mais y a-t-il eu un temps où il n’existait qu’un ou deux individus de chaque espèce? c’est ce que nous ignorons complètement.”[15] The topics announced here are closely related to Locke and his Essay concerning human understanding, and correspond to the headings of the following chapters: ch. 3, “Que toutes les idées viennent par les sens”; ch. 5, “Si l’homme a une ame, et ce que ce peut être”; ch. 6, “Si ce qu’on appelle ame est immortelle”; ch. 6 [7], “Si l’homme est libre”; ch. 8 [9], “De la vertu et du vice”. We note that the contents of chapters 4 and 7 [8] are not included in this presentation.[16] See Locke, Essay concerning human understanding, book I, ch. 4, § 8: “hath not Navigation discovered, in these latter Ages, whole Nations, at the Bay of Soldania, in Brasil, and the Caribee islands, &c. amongst whom there was to be found no Notion of a God” (London, A. and J. Churchill and S. Manship, 1695, p. 29).[17] W. H. Barber draws attention to the following passage in Claude Buffier, Traité des premières vérités, et de la source de nos jugemens où l’on examine le sentiment des philosophes de ce temps, sur les premières notions des choses. Par le P. Buffier, de la Compagnie de Jésus, Paris, Veuve Maugé, 1724, vol. 1, p. 32-34: “A l’égard [...] du comun des hommes, il me semble qu’il est des véritez plus immédiates à l’esprit, & qui s’y présentent encore plus promptement & plus aisément que celle de la connoissance de l’existence de Dieu. Il paroît même hors de doute que les enfans ont un grand nombre de connoissances sur des objets sensibles & corporels, avant celle-là; ou plutôt la connoissance des objets sensibles sont des degrés nécessaires, communément parlant, pour y parvenir [...] Ceci peut résoudre une dificulté qu’ont proposé quelques-uns, sur ce qu’on a raporté de certains sauvages bien qu’en petit nombre, en qui on n’apercevoit aucune connoissance de Dieu. Cette expérience, si elle est vraie, montre très-bien que l’idée de Dieu n’est pas innée ni que ce soit une premiére vérités”. Voltaire must have known the work, but it is not in his library and when he writes an entry concerning Buffier in the “Catalogue des écrivains” of Le Siècle de Louis XIV, the following sentence was added by the Kehl editors: “Il y a dans ses traités de métaphysique des morceaux que Locke n’aurait pas désavoués; et c’est le seul jésuite qui ait mis une philosophie raisonnable dans ses ouvrages.” (OCV, vol. 12, p. 72, 302).[18] See Locke, Essay concerning human understanding, book I, ch. 4, § 7: “That the Idea the term Worship stands for, is not in the Understanding of Children, and a Character stamped on the Mind in its first Original, I think, will be easily granted, by any one, that considers how few there be, amongst grown Men, who have a clear and distinct Notion of it. And, I suppose, there cannot be any thing more ridiculous, than to say, that Children have this practical principle innate, That God is to be Worshipped; and yet, that they know not what that Worship of God is, which is their duty.” (London, A. and J. Churchill and S. Manship, 1695, p. 29).[19] Voltaire and Émilie Du Châtelet turn to Samuel Clarke. The page reference given in paragraph 29 allows us to identify the edition used by Émilie Du Châtelet: Samuel Clarke, De l’existence et des attributs de Dieu: des devoirs de la religion naturelle, et de la vérité de la religion chrétienne. Traitez qui sont le precis de XVI. Sermons prononcez à Londres pour la Lecture fondée par M. Boyle, Par M. Clark Docteur en Theol. Traduits de l’Anglois par M. Ricotier, Amsterdam, Jean Fredric Bernard, 1719, 2 vol. This edition is no longer present in Voltaire’s library, where we find a later edition: Samuel Clarke, Traités de l’existence et des attributs de Dieu: des devoirs de la religion naturelle, et de la vérité de la religion chrétienne. Par M. Clarke, docteur en théol. Traduit de l’anglais par M. Ricotier. 2e édition revue, corrigée & augmentée sur la 6e édition anglaise, Amsterdam, J.-F. Bernard, 1727-1728. 3 vol. (BV 785), heavily annotated (CNM, vol. 2, p. 637-658). Here and elsewhere they also use: Recueil de diverses pièces, sur la philosophie, la religion naturelle, l’histoire, les mathématiques, &c. Par Mrs. Leibniz, Clarke, Newton, & autres auteurs célèbres, ed. Desmaizeaux, Amsterdam, H. Du Sauzet, 1720. 2 vol. (BV 2889). [20] See Clarke, De l’existence et des attributs de Dieu, “Fragment d’une lettre écrite à une Personne, qui, outre les objections précédentes, en avoit encore proposé quelques autres”: “Il n’y a que deux voies, par lesquelles il soit possible de prouver l’Existence & les Attributs de Dieu. L’une à priori, l’autre à posteriori. La preuve à posteriori est à la portée de tout le monde. Il y a dans la Nature une infinité de Phénomenes, qui tous, depuis le plus familier jusques au plus recherché, forment une preuve de l’existence de Dieu, à la portée de toute personne dégagée de préjugé, & d’un esprit droit & sincere, une preuve, dis-je à tout le moins, morale & raisonnable.” (1719, vol. 1, p. 238-239).[21] See Clarke, De l’existence et des attributs de Dieu, ch. 12, prop. 11: “Les argumens tirés de la perfection exquise & de l’ordre admirable, qui regne dans tous ses ouvrages, forment une démonstration à posteriori de sa Sagesse, qui n’est pas moins forte, ni moins incontestable. Je ne m’étendrai pourtant pas sur cette preuve. Elle a été mise dans une si grande évidence, & maniée avec tant de solidité et de délicatesse (à la honte éternelle de l’Athéisme) par les meilleures & les plus savantes plumes, tant de l’antiquité, que de ces derniers temps, qu’il n’est pas possible d’y rien ajouter.” (1719, vol. 1, p. 168).[22] See Clarke, De l’existence et des attributs de Dieu, ch. 9, prop. 8: “Je n’insisterai donc que sur ceci: qu’il est impossible, que l’effet soit revêtu, d’aucune perfection, qui ne se trouve aussi dans la Cause. S’il étoit possible que cela fut, il faudroit dire que cette perfection n’auroit été produite par Rien, ce qui implique visiblement contradiction. Or il est évident, qu’un Etre qui n’est pas Intelligent, ne possede pas toutes les perfections de tous les Etres, qui sont dans l’Univers; puisque l’Intelligence est une de ces perfections. Donc toutes choses n’ont pu tirer leur Origine d’un Etre sans intelligence: & par conséquent l’Etre qui existe par lui-même, & à qui toutes choses doivent leur origine, doit necessairement être Intelligent.” (1717, vol. 1, p. 79-80). [23] See Clarke, De l’existence et des attributs de Dieu, ch. 9, prop. 8: “On repliquera peut-être [...] que la figure, la divisibilité , & telles autres qualitez, sont des choses que Dieu, de l’aveu de tout le monde, a communiquées à la Matiere, bien qu’il n’y ait en lui ni divisibilité, ni figure, & que ce soit même un énorme blaspheme que de lui attribuer aucune de ces qualitez. Ainsi dira-t-on, la connoissance a pu de la même manière sortir d’un fonds sans intelligence.” (1719, vol. 1, p. 83). Ricoter adds in a note that this argument comes from Toland: “Lett. où il pretend prouver, que le movement est essentiel à la Matiere.”, that is the fifth of the Letters to Serena.[24] See Clarke, De l’existence et des attributs de Dieu, ch. 9, prop. 8, where Clarke continues: “La reponse à ces objections est très facile. [...] Car la figure, la divisibilité & telles autres qualitez de la Matiere, ne sont pas des puissances réelles, propres, distinctes & positives, ce ne sont que des qualitez negatives & des imperfections. Or quoiqu’aucune cause ne puisse communiquer à son effet aucune perfection réelle, qu’elle n’a pas elle-même, il est pourtant vrai qu’il peut y avoir dans l’effet des imperfections, des defectuositez, & des qualitez negatives, qui ne sont pas dans la cause.” (1717, vol. 1, p. 83-85).[25] As W. H. Barber points out, what follows after the initial sentence is a rapid summary of Clarke’s chapter titles for propositions 1 to 10 as translated by Ricotier: ch. 2: Que quelque chose a existé de toute Eternité; ch. 3: Qu’un Etre Indépendant & Immuable a existé de toute Eternité; ch. 4: Que cet Etre immuable & indépendant, qui a existé de toute Eternité, existe par lui-même; ch. 5: Que l’Essence de l’Etre, qui existe necessairement & par lui-même, est une chose dont nous n’avons point d’Idée, & qui est tout-à-fait incompréhensible; ch. 6: Que l’Etre qui existe par lui-même doit nécessairement être Eternel, ch. 7: Que l’Etre qui existe par lui-même doit être infini & présent par tout; ch. 8: Que l’Etre existant par lui-même, doit necessairement être Unique; ch. 9: Que l’Etre existant par lui-même est un Etre Intelligent; ch 10: Que l’Etre existant par lui-même doit être un Agent libre; ch. 11: Que l’Etre existant par lui-même possede une puissance infinie.[26] Émilie Du Châtelet follows these arguments very closely in chapter 2 of the Institutions de physique entitled “De l’existence de Dieu”, § 18-21; see Institutions de physique, ch. 2, § 19: “1o. Quelque chose existe puisque j’existe.” (p. 39).[27] See Institutions de physique, ch. 2, § 19: “2o. Puisque quelque chose existe, il faut que quelque chose ait existé de toute éternité, sans cela il faudroit que le néant qui n’est qu’une négation eût produit tout ce qui existe, ce qui est une contradiction dans les termes, car, c’est dire qu’une chose a été produite & ne reconnoître cependant aucune cause de son existence. ¶ 3o. L’Etre qui a existé de toute éternité doit exister nécessairement & ne tenir son existence d’aucune cause, car s’ïl avoit reçû son existence d’un autre Etre, il faudroit que cet autre Etre existât par lui-même, & alors c’est lui dont je parle, & c’est Dieu, ou bien il tiendroit encore son existence d\m autre: on voit aisément qu’en remontant ainsi à l’infini, il faut arriver à un Etre nécessaire qui existe par lui-même, ou bien admettre une chaîne infinie d’Etres, lesquels pris tous ensemble n’auront aucune cause externe de leur existence (puisque tous les Etres entrent dans cette chaîne infinie) & qui, chacun en particulier, n’en auront aucune cause interne, puisqu’aucun n’existe par lui-même, & qu’ils tiennent tous l’existence les uns des autres dans une gradation à l’infini. Ainsi, c’est supposer une chaîne d’Etres qui séparément ont été produits par une cause, & qui tous ensemble n’ont été produits par rien, ce qui est une contradiction dans les termes. Il y a donc un Etre qui existe nécessairement, puisqu’il implique contradiction qu’un tel Etre n’existe pas.” (p. 39-40).[28] The text follows closely the arguments presented by Clarke in the latter part of chapter IV, prop. 3, where he writes: “le Monde materiel ne peut être cet Etre premier, Original, Incréé, Independant & Eternel par lui-même. Car il a été déjà démontré, que tout Etre, qui a existé de toute Eternité, qui est independant, & qui n’a point de Cause externe de son Existence, doit avoir existé par lui-même: On a demontré ensuite, que tout ce qui existe par soi-même, doit necessairement exister en vertu d’une Necessité naturelle & essentielle. Or de tout cela il suit évidemment, que le Monde materiel ne peut être Independant & Eternel par lui-même, à moins qu’il n’existe necessairement, & d’une necessité si absoluë & si naturelle, que la supposition même, qu’il n’existe pas, soit une contradiction formelle & manifesste. Mais il est de la derniere évidence, que le Monde matériel n’existe pas de la sorte. Car la Necessité absoluë d’exister & la possibilité de n’exister pas, étant des Idées contradictoires, il est évident que le Monde materiel ne peut pas exister necessairement, si je puis sans contradiction concevoir, ou qu’il pourroit ne pas être, ou qu’il pourroit être tout autre, qu’il n’est aujourd’hui. Or qu’y a-t-il de plus facile de concevoir que cela?” (1719, vol. 1, p. 33-34).[29] See Institutions de physique, ch. 2, § 21: “Le Monde que nous voyons ne sçauroit être l’Etre nécessaire, car il est composé de parties & il y a une succession continuelle en lui, ce qui est absolument contradictoire aux attributs que je viens de montrer appartenir à l’Être nécessaire. ¶ Par la même raison, la Matiere ni les Eléments de la Matiere ne peuvent point être l’Etre nécessaire.” (p. 42).[30] Argument developed along similar lines by Locke in Essay, book IV, ch. 10, § 8-10.[31] Objection and rebuttal (see below, paragraph 43) formulated along similar lines by Clarke, De l’existence et des attributs de Dieu, ch. 11, prop. 10 (vol. 1, p. 118-119).[32] As W. H. Barber suggests this addition by Émilie Du Châtelet seems to be based on Clarke’s Third reply to Leibniz: “Il est indubitable, que rien n’éxiste, sans qu’il y ait une raison suffisante de son éxistance; & que rien n’éxiste d’une certaine maniére plûtôt que d’une autre, sans qu’il y ait aussi une raison suffisante de cette maniére d’éxister. Mais à l’égard des choses qui sont indifférentes en elles-mêmes, la simple Volonté est une raison suffisante pour leur donner l’éxsistence , ou pour les faire éxister d’une certaine maniére; & cette Volonté n’a pas besoin d’être déterminée par une Cause étrangere; [...] Lorsque Dieu a créé ou placé une particule de Matiére dans un lieu plûtôt que dans un autre, quoique tous les lieux soient semblables; il n’en a eu aucune raison que sa Volonté.” (Recueil, vol. 1, p. 39-40).[33] Émilie Du Châtelet clarifies a first version regarding the laws of motion (see variant). See the point made by Clarke againt Spinoza in proposition 9: “Je prendrai donc le contrepied de la Proposition de Spinoza, & je dirai , qu’il n’y a dans les choses du Monde aucune apparence de necessité absoluë & naturelle. Le mouvement lui-même, sa quantité, ses déterminations, les loix de gravitation, tout cela, dis-je, est parfaitement arbitraire, & pourroit être tout-à-fait different de ce qu’il est aujourd’hui Il n’a rien dans le nombre et le mouvement des Corps célestes qui autorise le moins du monde cette absolue necessité des Spinoizistes.” (1719, p. 102-103).[34] In the Institutions de physique Émilie Du Châtelet writes: “C’est de cette Sagesse infinie du Créateur que les Causes finales, ce principe si fécond dans la Physique, & que quelques Philosophes en ont voulu bannir mal à propos, tirent leur origine; tout marque un dessin, c’est être aveugle, ou vouloir l’être que de ne pas apercevoir que le Créateur s’est propposé dans le moindre de ses Ouvrages des fins, qu’il obtient toujours, & que la Nature travaille sans cesse à exécuter: ainsi cet Univers n’est point un cahos, une masse desordonnée, sans harmonie, & sans liaison, comme quelque déclamateurs voudroient le persuader” (§ 27, p. 48). [35] See below, chapter 8.[36] The authors probably have specifically in mind Toland and Hobbes, whose ideas are discussed and opposed by Clarke in chapters 9 and 11.[37] These themes will be treated in chapters 7 and 8.[38] The reference is of course to Descartes, Les Principes de la philosophie, part III, § 46-50. Voltaire had in his library the translation by Claude Picot, Les Principes de la philosophie écrits en latin, par René Descartes et traduits en français par un de ses amis, Paris, Compagnie des libraires, 1723 (BV 999), a copy which is annotated by himself and Émilie Du Châtelet (CNM, vol. 3, p. 114-116), here p. 169-176. Descartes does not however use the term “cubes”, but talks of “parties de la matière”. In the Éléments de la philosophie de Newton, part II, ch. 1, Voltaire amplifies the attack naming Descartes and still talking of “cubes” (OCV, vol. 15, p. 256-258).[39] See Institutions de physique, Avant-propos, VIII: “Il est vrai que les Hipotheses deviennent le poison de la Philosophie quand on les veut faire passer pour la vérité, & peut-être même sont-elles plus dangereuses alors que ne l’était le jargon de l’Ecole; car ce jargon était absolument vide de sens, il ne fallait qu’un peu d’attention à un esprit droit pour en appercevoir le ridicule & pour chercher ailleurs la vérité; mais une Hipothese ingénieuse & hardie, qui a d’abord quelque vraisemblance, intéresse l’orgueil humain à la croire, l’esprit s’applaudit d’avoir trouvé ces principes subtils, & se sert ensuite de toute sa sagacité pour les défendre.” (p. 9-10).[40] As W. H. Barber points out, Voltaire or Êmilie Du Châtelet might here have in mind Locke’s remarks on infinity, Essay concerning human understanding, book II, ch. 17, § 15: “So much Space as the Mind takes a view of, in its contemplation of Greatness, is a clear Picture, and positive in the Understanding, but infinite is still greater. 1. Then the Idea of so much is positive and clear. 2. The Idea of Greater is also clear, but it is but a comparative Idea. 3. The Idea of so much greater, as cannot be comprehended, and this a plain Negative; Not positive” (p. 113). For the French version see Essay philosophique concernant l’entendement humain, p. 160.[41] See Locke, Essay concerning human understanding, book II, ch. 1, § 3: “First, Our Senses, conversant about particular Objects, do convey into the Mind, several distinct Perceptions of things, according to those various ways, wherein the Objects do affect them: And thus we come by those Ideas, we have of Yellow, White, Heat, Cold, Soft, Hard, Bitter, Sweet, and all those which we call sensible qualities, which when I say the Senses convey into the mind. [...] This great Source of most of the Ideas we have, depending wholly upon Senses, and derived by them to our Understanding, I call Sensation.” (p. 41).[42] The stages in the development of complex ideas proposed here correspond generally to Locke, Essay concerning human understanding, book II, ch. 1, § 2-5, where he explains the concepts of sensation and reflection, and the ensuing chapters of book II.[43] See Locke, Essay concerning human understanding, book II, ch. 17, § 2-3 (p. 108-109). [44] See Locke, Essay concerning human understanding, book II, ch. 2, § 3 (p. 51): “This is the Reason why, though we cannot believe it impossible to God, to make a Creature with other Organs, and more ways to convey into the Understanding the notice of Corporeal things, than those five, as they are usually counted, which he has given to Man: Yet, I think, it is not possible, for any one to imagine any other Qualities in Bodies howsoever constituted, wherby they can be taken notice of, besides Sounds, Tastes, Smells, visible and tangible Qualities. And had Mankind been made with but four Senses, the Qualities then, which are the Object of the Fifth Sense, had been as far from our Notice, Imagination, and Conception, as now any belonging to a Sixth, Seventh, or Eighth Sense, can possibly be”.[45] Here follows a brief and rather crude summary of Malebranche, De la recherche de la verité, book III, part II, “De la nature des idées”, in particular ch. 6, “Que nous voyons toutes choses en Dieu”, where we find the following passage: “Il faut de plus sçavoir que Dieu est très étroitement unis à nos ames par sa présence, de sorte qu’on peut dire qu’il est le lieu des esprits, de même que les espaces sont en un sens le lieu des corps” (Paris, 1700, vol. 1, p. 410), which carries the following marginal remark by Voltaire: “un peu de spinosisme” (CNM, vol. 5, p. 499).[46] See Voltaire’s commentary above. Voltaire comes back to this quotation in 1772 in his satirical poem Les Systèmes, “avec des notes instructives”, when he writes: “Je ne dis pas que ce savant Prêtre de l’Oratoire fût Spinosiste, à Dieu ne plaise; je dis qu’il servait d’un plat dont un Spinosiste aurait mangé très volontiers.” (OCV, vol. 74B, p. 241-242).[47] Locke, Essay concerning human understanding, book II, ch. 12, § 4, p. 79: “Modes I call such complex Ideas, which however compounded, contain not in them the supposition of subsisting by themselves, but are considered as Dependences on, or Affections of Substances”. The philosophical terms mode and substance were in general use and Émilie Du Châtelet explains them in her Institutions de physique, ch. 3, § 43 et § 51-52, où elle conclut: “l’on peut définir la Substance, ce qui conserve des déterminations essentielles & des attributs constans, pendant que les modes y varient & se succedent; c’est-à-dire un sujet durable et modifiable: car en tant qu’il a une essence & des propriétés qui en découlent , il dure & continue d’être le même, & en tant que ses modes varient, il est modifiable” (p. 73).[48] Voltaire had in his library Sextus Empiricus, Les Hipotiposes, ou Institutions pirroniennes de Sextus Empiricus en trois livres. Traduites du grec. Avec des notes qui expliquent le texte en plusieurs endroits, [Amsterdam], 1725, a translation by Claude Huart (BV 3158), where certain passages are marked by annotated signets. However these probably date from a later period (OCV, vol. 143, p. 326-329). As noted by W.H. Barber, passages alluded to here could be: book II, ch. 5: “Du Criterium a quo, c’est-à-dire de celui qui doit juger de la vérité”, p. 144; book II, ch. 6. “Du Criterium per quod, c’est-à-dire de l’instrument par lequel on prétend juger de la vérité”, p. 156-157; book III, ch. 5: “Si on peut concevoir ce que c’est que les Corps”, p. 300-302. The example of the tree is however to be found in Huart’s “Préface”, p. [xv-xvi].[49] The idea that all senses are reducible to touch is not to be found in Locke. However, Émilie Du Châtelet does underline the role of the sense of touch in the Institutions de physique, ch. 10, § 197, p. 207: “Le tact est le seul sens qui nous donne l’idée de la solidité, ce sens est répandu par tout notre Corps, & les autres sens ne sont eux-mêmes qu’un tact diversifié, l’ébranlement des nerfs, quoiqu’insensible pour nous, étant la source de toutes nos sensations. Il paroît singulier que tous nos sens n’étant que des modifications du tact, l’idée de la solidité qui en est l’objet propre, ne nous vienne cependant que par un seul sens, & que nos yeux, ni nos oreilles ne nous donnent point cette idée.”[50] The distinction between Primary qualities (“Solidity, Extension, Motion or Rest, Number and Figure”) and Secondary qualities (Colours, Smells, Tastes, Sounds) are to be found in Locke, Essay concerning human understanding, book II, ch. 8, § 9-23.[51] See Locke, Essay concerning human understanding, book IV, ch. 11, § 8, p. 364: “And if our Dreamer pleases to try, whether the glowing Heat of a Glass-Furnace, be barely a wandering Imagination in a drowsie Man’s Fancy, by putting his Hand into it, he may perhaps be wakened into a certainty greater than he could wish, that it is something more than bare Imagination.”[52] See Locke, Essay concerning human understanding, book IV, ch. 11, § 7, p. 363.[53] Note de l’édition de Kehl: “(*) Voyez l’article Existence, dans l’Encyclopédie: c’est le seul ouvrage où cette question de l’existence des corps ait été jusqu’ici bien traitée, & elle y est complètement résolue.”[54] This is the second appearance of the space-traveller introduced above in the introduction “Doutes sur l’homme”.[55] See Newton, Traité d’optique, book III, qu. 31: “Dans la Physique tout aussi bien que dans les Mathematiques, il faut employer dans la recherche des Choses difficiles, la Methode Analytique avant de recourir à la Methode synthetique. La premiere de ces deux Methodes consiste à faie des Experiences & des Observations, à en tirer par induction des conclusions générales, & à n’admettre aucune objection contre ces Conclusions qui ne soit prise de quelque Experience ou d’autres Vérités certaines” (translated by Pierre Coste, 2e éd., Paris, Montalant, 1722, p. 592). See also Institutions de physique, “Avant-Propos”, IX, p. 10: “Souvenez-vous, mon fils, dans toutes vos Etudes, que l’Expérience est le bâton que la nature a donné à nous autres aveugles, pour nous conduire dans nos recherches; nous ne laissons pas avec son secours de faire bien du chemin, mais nous ne pouvons manquer de tomber se nous cessons de nous en servir; c’est à l’Expérience à nous faire connaître les qualités physiques, & c’est à notre raison à en faire usage & à en tirer de nouvelles connaissances & de nouvelles lumières.”[56] See Voltaire, the Cambridge notebook, probably dating from 1726-1727: “We are not of another gender than the beasts but of another species” (OCV, vol. 81, p. 88).[57] This passage has a parallel, comparing a child and a dog, in the first version of Letter XIII, “Sur M. Locke” of the Lettres philosophiques, published in 1738, but in circulation from 1733 onwards: “J’aperçois qu’à l’âge de 6 ou 7 ans l’enfant combine dans son petit cerveau presque autant d’idées que mon chien de chasse dans le sien. Enfin il atteint avec l’âge un nombre infini de connaissances. Alors que dois-je penser de lui? irai-je croire qu’il est d’une nature tout à fait différente? Non, sans doute, car vous qui voyez d’un côté un imbécile, de l’autre M. Newton, vous prétendez qu’ils sont pourtant de même nature. Je dois prétendre à plus forte raison que mon chien et mon enfant sont au fond de même espèce, et qu’il n’y a de la différence que du plus ou du moins. Pour mieux m’assurer de la vraisemblance de mon opinion probable, j’examine mon enfant et mon chien pendant leur veille et pendant leur sommeil. Je les fais saigner l’un et l’autre outre mesure: alors leurs idées semblent s’écouler avec leur sang; dans cet état je les appelle, ils ne me répondent plus, et si je leur tire encore quelques palettes, mes deux machines qui avaient une heure auparavant des idées en très grand nombre et des passions de toute espèce, n’auront plus aucun sentiment.” (Lettres philosophiques, ed. Olivier Ferret and Antony McKenna, Classiques Garnier, 2010, p. 254-255).[58] W. H. Barber draws attention to Tournemine, who had argued along similar lines in his letter to Voltaire of September 1735: “Dites sans scrupule que dieu ne peut pas rendre la matière pensante, puisque la répugnance de la pensée à la matière est manifeste; la matière est un être divisible, composé de parties, la divisibilité est sa différence essentielle; un être sans parties n’est point matière, il n’a pas les propriétés connues de la matière, il ne peut les avoir. Il est facile de démontrer qu’un être divisible composé de parties ne peut penser, ne peut juger d’aucun objet. Pour juger d’un objet, il faut l’apercevoir tout entier indivisiblement, il ne peut être reçu, aperçu indivisiblement dans un sujet divisible, dans un sujet composé de parties. ” (D913).[59] A reference to a somewhat simplified view of the Aristotelian scholasticism.[60] This is the Cartesian theory considering animals as machines without soul and proper will.[61] See Voltaire, La Métaphysique de Newton, in the Éléments de la philosophie de Newton, ch. 5, “De la religion naturelle”: “il [Newton] était fortement convaincu avec Locke, que Dieu a donné aux animaux (qui semblent n’être que matière) une mesure d’idées, et les mêmes sentiments que nous. Il ne pouvait penser que Dieu, qui ne fait rien en vain, eût donné aux bêtes des organes de sentiment, afin qu’ils n’eussent point de sentiment” (OCV, vol. 15, p. 222).[62] W.H. Barber gives the example of Buffier who writes, in his Eléments de métaphysique à la portée de tout le monde, Paris, 1725, p. 120, concerning “quelques preméres vérités”: “Il y a une telle diférence entre ce que j’apéle esprit ou ame, & ce que j’apéle corps ou matiére, que je ne puis sérieusement confondre l’un avec l’autre, ni juger de bone foi que les propriétés de l’un qui sont la figure & le mouvement, puissent en aucune sorte, convenir aux propriétés de l’autre, qui sont le sentiment & la pensée.”[63] See Locke, Essay concerning human understanding, book IV, ch. 3, § 6, p. 310, a passage referred to by Émilie Du Châtelet dans les Institutions de physique, ch. 3, § 47, p. 66: “Tous les Philosophes avouent que la matière, en tant que matiére, c’est-à-dire, en tant qu’étenduë & impénétrable ne peut former une pensée; mais ils disent, que Dieu a peut-être donné à la matiére l’attribut de la pensée, quoiqu’elle ne l’ait point par son essence, & qu’ainsi, comme on ne sait point ce qu’il a plû à Dieu de faire, on ne peut savoir non plus si ce qui pense en nous est matiére ou non.” (with reference to Locke). Voltaire y fait également allusion dans La Métaphysique de Newton, in the Éléments de la philosophie de Newton, ch. 6, “De l’âme et de la maniére dont elle est unie au corps, et dont elle a ses idées ”: “Locke paraît le seul qui ait ôté la contradiction entre la matière et la pensée, en recourant tout d’un coup au créateur de toute pensée et de toute matière, et en disant modestement: Celui qui peut tout ne peut-il pas faire penser un être matériel, un atome, un élément de la matière? Il s’en est tenu à cette possibilité en homme sage: affirmer que la matière pense en effet, parce que Dieu a pu lui communiquer ce don, serait le comble de la témérité; mais affirmer le contraire est-il moins hardi?” (OCV, vol. 15, p. 226, variant). In the article “Âme” of the Questions sur l’Encyclopédie, he cites a long passage of § 6 in Coste’s translation (OCV, vol. 38, p. 222).[64] See Newton, Principia, book III, “Scholium generale”: “J’ai expliqué jusqu’ici les phénomènes célestes et ceux de la mer par la force de la gravitation, mais je n’ai assigné nulle part la cause de cette gravitation. Cette force vient de quelque chose qui pénètre jusqu’au centre du Soleil et des planètes, sans rien perdre de son activité; elle n’agit point selon la grandeur des superficies (comme les causes mécaniques) mais selon la quantité de la matière [solide]; et son action s’étend de toutes parts à des distances immenses, en décroissant toujours dans la raison doublée des distances. [...] Je n’ai pu encore parvenir à déduire des phénomènes la raison de ces propriétés de la gravité, et je n’imagine point d’hypothèses.” (translation by Émilie Du Châtelet, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, ed. Michel Toulmonde, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude XVIIIe siècle, 2015, vol. 2, p. 487).[65] See Lettres philosophiques, XIII, “Sur M. Locke” (1734), “quel est l’homme qui osera assurer, sans une impiété absurde, qu’il est impossible au Créateur de donner à la matière la pensée et le sentiment? [...] Les bêtes ont les mêmes organes que nous, les mêmes sentiments, les mêmes perceptions; elles ont de la mémoire, elles combinent quelques idées. Si Dieu n’a pas pu animer la matière et lui donner le sentiment, il faut de deux choses l’une, ou que les bêtes soient de pures machines ou qu’elles aient une âme spirituelle. Il me paraît presque démontré que les bêtes ne peuvent être de simples machines. Voici ma preuve: Dieu leur a fait précisément les mêmes organes du sentiment que les nôtres; donc s’ils ne sentent point, Dieu a fait un ouvrage inutile. Or Dieu, de votre aveu même, ne fait rien en vain.” (ed. Olivier Ferret and Antony McKenna, Classiques Garnier, 2010, p. 112).[66] See Locke, Essay concerning human understanding, book II, ch. 1, “Of Ideas in general, and their Original”, § 10-18, p. 43-47, with the following marginal headings: “The Soul thinks not always”, “It is not always conscious if it”, “If a sleeping Man thinks without knowing it, the sleeping and waking Man are two Persons”, “Impossible to convince those that sleep without dreaming that they think”, “That Men dream without remembering it, in vain urged”, etc.[67] Deuteronomy, XXIII, 12-14.[68] A point Voltaire will return to frequently in later works, see for example Dictionnaire philosophique, art. “Âme” (OCV, vol. 35, p. 311-315).[69] See Locke, Essay concerning human understanding, book II, ch. 27, § 11, p. 182: “Thus the Limbs of his Body is to every one part of himself: He sympathisez, and is concerned with them. Cut off an Hand, and thereby separate it from that consciousness, we had of its Heat, Cold, and other Affections; and it is no longer a part of that which is himself, anx more than the remotest part of Matter.”[70] The authors here largely adopt Locke’s views on memory and personal identity, as expressed in Essay concerning human understanding, book II, ch. 27, “On Identity and Diversity”, passim.[71] In what follows, we draw attention to the numerous parallels which exist between this chapter and the text De la liberté by Émilie Du Châtelet. We refer to our edition of the text by refering to the paragraph numbers.[72] Allusion to the extra-terrestrial observer introduced above in the introduction, “Doutes sur l’homme”.[73] See De la liberté, paragraph 5: “On a tant obscurci cette matiere, qu’il est absolument indispensable de commencer par définir ce que l’on entend par liberté quand on veut en parler, et se faire entendre.”[74] See De la liberté, paragraph 53: “Le pouvoir phisique d’agir est donc ce qui fait de l’homme un être libre”. See Clarke, De l’existence et des attributs de Dieu, ch. 10, prop. 9: “Otez la liberté à un Etre, vous lui ôteu le pouvoir d’agir.” (p. 96); or his answer to Collin’s Philosophical enquiry concernng human liberty, of which Desmaizeaux published a translation in the Recueil de diverses pièces, sur la philosophie, la religion naturelle, l’histoire, les mathématiques, &c. Par Mrs. Leibniz, Clarke, Newton, & autres auteurs célèbres: “l’essence de la Liberté consiste uniquement dans le Pouvoir d’agir. Action & Liberté ne sont qu’une même idée: & la véritable définition d’un Etre libre, est, un Etre doüé du Pouvoir d’agir aussi bien que de recevoir l’action d’un autre.” (vol. 1, p. 369); or Locke, Essay, book II, ch. 21, § 27: “In this then consist Freedom (viz.) in our being able to act, or not to act, according as we shall choose, or will.” (p. 132). [75] See De la liberté, paragraph 14: “Je sçai que l’on peut à toute force abuser de sa raison pour contester la liberté aux animaux, et les concevoir comme des machines qui n’ont ni sensations, ni désirs, ni volonté, quoiqu’ils en aient toutes les apparences.”[76] See De la liberté, paragraph 14: “mais enfin quand il faut s’interroger soi-même, il faut bien avoüer, si l’on est de bonne foi, que nous avons une volonté, que nous avons le pouvoir d’agir, de remuer notre corps, d’apliquer notre esprit à certaines pensées, de suspendre nos désirs, &c.”[77] See De la liberté, paragraphs 17-18: “Voici je crois ce qu’on peut répondre à cette objection. ¶Les deux cas que vous comparés sont fort differens; je ne puis et ne dois voir les objets qu’en raison directe de leur grosseur, et en raison renversée du quarré de leur éloignement, telles sont les loix mathematiques de l’optique, et telle est la nature de mes organes, que si ma vûë pouvoit apercevoir la grandeur reelle du soleil, je ne pourrois voir aucun objet sur la terre, et cette vûë loin de m’être utile, me seroit nuisible. Il en est de-même des sens de l’oüie et de l’odorat; je n’ay et ne puis avoir ces sensations plus ou moins fortes (toutes choses d’ailleurs égales) que suivant que les corps sonores ou odoriferans sont plus ou moins pres de moi; ainsi dieu ne m’a point trompé en me faisant voir ce qui est eloigné de moi d’une grandeur proportionnée à sa distance; mais si je croyois etre libre, et que je ne le fus point, il faudroit que Dieu m’eut creé expres pour me tromper, car nos actions nous paroissent libres précisément de la même maniere qu’elles nous le paroitroient si nous l’etions veritablement.”[78] See De la liberté, paragraph 19: “Et qu’on ne dise pas qu’il est indigne d’un philosophe de recourir ici à ce dieu, car ce dieu etant une fois prouvé, il est certain qu’il est l’auteur de ma liberté, si je suis libre, et qu’il est l’auteur de mon erreur, si ayant fait de moi un être purement passif, il m’a donné le sentiment irresistible d’une liberté qu’il m’a refusée.”[79] See De la liberté, paragraph 37: “La veritable et la seule liberté est donc le pouvoir de faire ce que l’on choisit de faire, et toutes les objections que l’on fait contre cette espèce de liberté détruisent egalement celle de dieu et celle de l’homme; et par consequent s’il s’ensuivoit que l’homme ne fut pas libre, parceque sa volonté est toûjours determinée par les choses que son entendement juge etre les meilleures, il s’ensuivroit aussi que dieu ne seroit point libre, et que tout seroit effet sans cause dans l’univers, ce qui est absurde.”[80] See De la liberté, paragraph 49: “La liberté dans dieu est le pouvoir de penser toûjours tout ce qu’il lui plait, et de faire toûjours tout ce qu’il veut. La liberté donneé de dieu à l’homme est le pouvoir foible et limité d’operer certains mouvements et de s’apliquer à quelques pensées. La liberté des enfans, qui ne réfléchissent point encore, et celle des especes d’animaux qui ne reflechissent jamais, consiste seulement à vouloir et à operer certains mouvements.”[81] See De la liberté, paragraphs 9-10: “Tant de chaines visibles dont nous sommes accablés prouvent selon eux que nous sommes liés de-même dans tout le reste. ¶L’homme, disent ils, est tantôt emporté avec une rapidité et des secousses dont il sent l’agitation et la violence; tantôt il est mené par un mouvement paisible dont il ne s’aperçoit pas, mais dont il n’est pas plus le maitre. C’est un esclave qui ne sent pas toûjours le poids et la fletrissure de ses fers, mais qui n’en est pas moins esclave. See Collins, who quotes Bayle, Dictionnaire, art. “Hélène”: “Ceux qui n’examinent pas à fond ce qui se passe en eux-mêmes, se persuadent facilement qu’ils sont libres, mais ceux qui ont étudié avec soin les ressorts & les circonstances de leurs actions ... doutent de leur franc arbitre; & viennent même jusqu’à se persuader que leur Raison & leur esprit sont des esclaves, qui ne peuvent resister à la force qui les entraîne, où ils ne voudroient pas aller” (Recueil, vol. 1, p. 267-268).[82] See De la liberté, paragraph 11: “Ce raisonnement est tout semblable à celuy ci: Les hommes sont quelque fois malades, donc ils n’ont jamais de santé. Or qui ne voit, au-contraire, que de sentir sa maladie et son esclavage est une preuve qu’on a eté sain, et libre.[83] See De la liberté, paragraph 12: “Dans l’ivresse, dans l’emportement d’une passion violente, dans un dérangement d’organes, &c., notre volonté n’est plus obeïe par nos sens, et nous ne sommes pas plus libres alors d’user de notre liberté, que nous le serions de mouvoir un bras sur lequel nous aurions une paralisie.”[84] See De la liberté, paragraph 13: “La liberté dans l’homme, est la santé de l’âme.”; Voltaire, Discours en vers sur l’homme, II, “De la liberté”, line 102: “La liberté dans l’homme est la santé de l’âme.” (OCV, vol. 17, p. 476); see also Voltaire, La Métaphysique de Newton, de 1740, included in the Éléments de la philosophie de Newton from 1741 onwards, ch. 4, “De la liberté dans l’homme”: “ainsi il me paraît que la liberté spontanée est à l’âme ce que la santé est au corps” (OCV, vol. 15, p. 216).[85] See De la liberté, paragraph 13: “Peu de gens ont cette santé entiere et inalterable, notre liberté est foible et bornée comme toutes nos autres facultés, nous la fortifions en nous accoutumant à faire des reflexions et à maitriser nos passions, et cet exercice de l’ame la rend un peu plus vigoureuse, mais quelques efforts que nous fassions, nous ne pourons jamais parvenir à rendre notre raison souveraine de tous nos désirs, et il y aura toûjours dans notre ame comme dans notre corps des mouvemens involontaires, car nous ne sommes ny sages, ny libres, ny sains, &c. que dans un tres petit degré.”[86] See De la liberté, paragraph 49: “Si nous etions toûjours libres, nous serions semblables à dieu. Contentons nous donc d’un partage convenable au rang que nous tenons dans la nature, mais parce que nous n’avons pas les attributs d’un dieu, ne renonçons pas aux facultés d’un homme.”[87] See De la liberté, paragraph 22: “mais cette volonté elle même est toûjours déterminée necessairement par les choses que notre entendement juge etre les meilleures, de même qu’une balance est toujours emporteé par le plus grand poids.” In his Philosophical inquiry, Collins quotes Cicero, Academicae questiones, II, using this comparison: “il est aussi nécessaire à l’esprit de se soumettre à ce qui est clair, qu’à une balance de pancher du côté où il a le plus de poids” (Recueil de diverses pièces, ed. Desmaizeaux, vol. 1, p. 273).[88] See De la liberté, paragraph 27: “Notre entendement, dit-on, ne peut s’empêcher de juger bon ce qui lui paraît tel; l’entendement détermine la volonté, etc.” This passage marked with running quotation marks is not a quotation from a specific work, but resumes a specific opinion.[89] See De la liberté, paragraph 38: “L’homme est donc par sa qualité d’être intelligent dans la necessité de vouloir ce que son jugement lui présente comme le meilleur.”[90] See De la liberté, paragraph 27: “Ce raisonnement n’est fondé que sur ce qu’on fait sans s’en apercevoir autant de petits êtres de l’entendement et de la volonté, lesquels on supose agir l’un sur l’autre, et déterminer ensuite nos actions, mais c’est une méprise qui n’a besoin que d’etre aperçûë pour etre rectifieé; car on sent aisément que vouloir, juger, &c., ne sont que differentes fonctions de notre entendement.” See Locke, Essay concerning human understanding, book II, ch. 21. § 6, p. 126.[91] See De la liberté, paragraph 38: “S’il en etoit autrement, il faudroit qu’il fut soumis à la détermination de quelque autre que lui-même, et il ne seroit plus libre, car vouloir ce qui ne feroit pas plaisir est une veritable contradiction, et faire ce que l’on juge le meilleur, ce qui fait plaisir, c’est etre libre.”[92] See De la liberté, paragraph 37: “Car que l’on y prenne bien garde, dieu ne peut être libre que de cette façon.”[93] See De la liberté, paragraph 48: “Cet argument de la prescience de dieu, s’il avoit quelque force contre la liberté de l’homme, détruiroit encore egalement celle de dieu. Car si dieu prévoit tout ce qui arrivera, il n’est donc pas en son pouvoir de ne pas faire ce qu’il a prévû qu’il feroit.”[94] See De la liberté, paragraph 45: “Les attributs infinis de l’etre supreme sont des abysmes où nos foibles lumieres s’aneantissent.”[95] See De la liberté, paragraph 45: “Car l’accord de la prescience de dieu avec notre liberté n’est pas plus incomprehensible pour nous que son ubiquité, sa durée infinie déja écoulée, sa dureé infinie à venir et tant de choses qu’il nous sera toujours egalement impossible de nier et de connoitre.”[96] See De la liberté, paragraph 45: “Il vaut beaucoup mieux avouer que les dificultés que nous trouvons à concilier la prescience de dieu avec notre liberté vienent de l’ignorance où nous sommes sur les attributs de dieu, et non pas de l’incompatibilité absoluë qu’il y a entre la prescience et la liberté.”[97] We draw attention below to the closeness of the themes in chapters 7 [8] and 8 [9] of the Traité de métaphysique, and Émilie Du Châtelet’c commentary and translation of Mandeville’s Fable of the bees. The references given are to the paragraph numbers of the present edition.[98] See Voltaire, La Métaphysique de Newton, in the Éléments de la philosophie de Newton, ch. 5, “De la religion naturelle”: “il est constant que Dieu a donné aux abeilles et aux fourmis quelque chose pour les faire vivre en commun, qu’il n’a donné ni aux loups, ni aux faucons” (OCV, vol. 15, p. 219).[99] See Émilie Du Châtelet’s interpolation in her translation of Mandeville’s Fable, paragraph 55: “L’amour paroit avoir dû estre le commencement de toute societé. Car l‘homme comme tous les autres animaux a un penchant invincible à la propagation de son espece. Un homme etant devenu amoureux d‘une femme, en aura eü des enfans, le soin de leur famille aura fait subsister leur union au dela de leur goût. Deux familles auront eu besoin l‘une de l‘autre des quelles auront esté formées, et ces besoins mutuels auront donné naissance à la societé.”[100] See Émilie Du Châtelet’s interpolation in her translation of Mandeville’s Fable, paragraph 80: “Plusieurs connoissent l‘orgueil et l‘emulation, mais aucun ne marque cet amour pour son espece, qui est imprimé dans le coeur de l‘homme et qui paroit un de ces traits distinctifs qui separent les differents etres.”. See also Voltaire, Notebooks: “Il paroit que la nature nous a donné l’amour propre pour notre conservation, et la bienveillance pour la conservation des autres, et peutêtre que sans ces deux principes dont le premier doit être le plus fort, il ne pouroit y avoir de société” (OCV, vol. 81, p. 349).[101] See Émilie Du Châtelet’s interpolation in her translation of Mandeville’s Fable, paragraph 80: “Qu‘un chien rencontre un chien expirant il lechera son sang et continuera son chemin”.[102] See Émilie Du Châtelet’s interpolation in her translation of Mandeville’s Fable, paragraph 80: “mais si un home rencontre un autre home son premier mouvement sera de le secourir, et il le secourera surement s‘il n‘a rien à craindre des marques de sa compassion.“[103] See Émilie Du Châtelet’s interpolation in her translation of Mandeville’s Fable, paragraph 66: “Car l‘amour propre est avec raison plus fort que la bienveillance pour nostre espece”.[104] See Émilie Du Châtelet’s translation of Mandeville’s Fable, paragraph 56: “L‘amour et ensuite les besoins mutuels ayant rassemblé les hommes[,] les plus adroits d‘entre eux, s‘apercûrent que l‘homme etoit né avec un orgueil indomptable, et c‘est de l‘empire que cette passion a sur luy, que les premiers legislateurs, ont tiré les plus grands secours, pour parvenir à civiliser les homes.”[105] See Émilie Du Châtelet’s translation of Mandeville, paragraph 59: “Pour introduire cette émulation parmi les hommes, ils les diviserent en deux classes. Ils composerent la premiere des gens grossiers, qui n‘etant occupés que du soin de satisfaire leurs desirs sont incapables de rien sacrifier au bien de la societé, et au bonheur commun. Cette multitude vile et rampante, est disoient ils, l‘ecume et la honte de l‘humanité, n‘ayant que la figure d‘homme, pour les distinguer des bestes. Mais l‘autre classe etoit formée de ceux qui connoissant la dignité de nostre nature, savent mettre un frein à leurs passions, et les subordoner au bien de la societé et de l‘humanité.”[106] See Émilie Du Châtelet’s translation of Mandeville, paragraph 63: “Ainsi tous voulurent et veullent encor estre de la seconde classe, quoyque dans le fonds du coeur, ils soient tous de la premiere.”[107] See Émilie Du Châtelet’s translation of Mandeville, paragraph 63: “Car ceux mesme dont le coeur etoit le plus corrompu, contraignoient leurs desirs, et crioient mesme plus haut que les autres, qu‘il falloit tout immoller au bien public.”[108] See Émilie Du Châtelet’s interpolation in her translation of Mandeville’s Fable, paragraph 65: “car aucune societé n‘a pû subsister sans avoir des loix, de mesme qu‘on ne peut joüer, s‘il n‘y a des regles du jeu.”[109] See Émilie Du Châtelet’s interpolation in her translation of Mandeville’s Fable, paragraph 65: “Voila pour quoy ces noms vice et de vertu sont donnés quelques fois à des actions opposées dans differents pays, car les besoins de la societé sont differents en differents climats. Mais dans tous les pays on appelle vertu ce qui est conforme aux loix etablies, et vice ce qui leur est opposé”.[110] Note de l’édition de Kehl: “(2) Nous croyons au contraire qu’il ne doit y avoir presque rien d’arbitraire dans les lois. 1o La raison suffit pour nous faire connaître les droits des hommes, droits qui derivent tous de cette maxime simple, qu’entre deux êtres sensibles égaux par la nature, il est contre l’ordre que l’un fasse son bonheur aux depens de l’autre, 2o La raison montre également qu’il est utile en général au bien des sociétés que les droits de chacun soient respectés, & que c’est en assurant ces droits d’une manière inviolable qu’on peut parvenir soit à procurer à l’espèce humaine tout le bonheur dont elle est susceptible, soit à la partager entre les individus avec la plus grande égalité possible. Qu’on examine ensuite les différentes lois, on verra que les unes tendent à maintenir ces droits, que les autres y donnent atteinte, que les unes sont conformes à l’intérêt général, que les autres y sont contraires. Elles sont donc ou justes ou injustes par elles-mêmes. Il ne suffit donc pas que la société soit réglée par des lois, il faut que ces lois soient justes. Il ne suffit pas que les individus se conforment aux lois établies, il faut que ces lois elles-mêmes se conforment à ce qu’exige le maintien du droit de chacun. ¶Dire qu’il est arbitraire de faire cette loi ou une loi contraire, ou de n’en pas faire du tout, c’est seulement avouer qu on ignore si cette loi est conforme ou contraire à la justice. Un médecin peut dire: Il est indifférent de donner à ce malade de l’émétique ou de l’ipecacuanha; mais cela signifie, il faut lui donner un vomitif, & j’ignore lequel des deux remèdes convient le mieux à son état. Dans la législation comme dans la médecine, comme dans les travaux des arts physiques, il n y’a de l’arbitraire que parce que nous ignorons les conséquences de deux moyens qui dès-lors nous paraissent indifférens. L’arbitraire naît de notre ignorance & non de la nature des choses.”[111] See Émilie Du Châtelet’s interpolation in her translation of Mandeville’s Fable, paragraph 65: “Mais de mesme que ce qui est une faute au piquet, n‘en est pas une au reversi; aussi ce qui est vice à Paris, est vertu à Constantinople. Mais tous les hommes s‘accordent à observer les loix etablies ches eux, et à regarder les actions comme bonnes ou mauvaises selon leur relation ou leur opposition à ces loix.”[112] See Émilie Du Châtelet’s interpolation in her translation of Mandeville’s Fable, paragraph 66: “Il y a une loi universelle pour tous les hommes que dieu a luy mesme gravée dans leur coeur.”[113] See Émilie Du Châtelet’s interpolation in her translation of Mandeville’s Fable, paragraph 66: “les besoins qui sont differents dans les differents pays, se reunissent tous dans cette maxime, ne fais pas à autruy ce que tu ne voudrois pas qui te fust fait. Le bien de la societé est à la verité, le seul criterium du vice et de la vertu. Mais cette maxime est non seullement indispensable dans toute societé civilisée, mais tout homme l‘a imprimée dans son coeur. Elle est une suitte necessaire de la bienveillance naturelle, que nous avons pour nostre espece: bienveillance que le createur a mis dans nous, et dont nous sentons les effets involontairement, comme la faim et la soif. [...] Il est vray que sans le secours des loix et des chatimens qu‘elles infligent à ceux qui nuisent aux autres, l‘interest personel l‘emporteroit souvent sur ce dictamen de la nature. Car l‘amour propre est avec raison plus fort que la bienveillance pour nostre espece, mais quand nostre interest ne nous y porte pas, il n‘y a aucun homme[,] à moins qu‘il n‘ait perdu le sens[,] qui aille assasiner son voisin pour son plaisir.”[114] See Émilie Du Châtelet’s interpolation in her translation of Mandeville’s Fable, paragraph 66: “Il n‘y a point de peuple, quelque barbare qu‘il soit, chés qui, dès qu‘il y aura une apparence de societé, il soit permis de manquer à sa parolle.”[115] See Voltaire, La Métaphysique de Newton, in the Éléments de la philosophie de Newton, ch. 5, “De la religion naturelle”, where he writes: “La même chose que nous appelons larcin, n’était point commandée à Lacédémone; mais dans une ville où tout était en commun, la permission qu’on donnait de prendre habilement ce que des particuliers s’appropriaient contre la loi, était une manière de punir l’esprit de propriété défendu chez ces peuples. Le tien et le mien, était un crime, dont ce que nous appelons larcin était la punition, et chez eux et chez nous il y avait de la règle pour laquelle Dieu nous a faits, comme il a fait les fourmis pour vivre ensemble.” (OCV, vol. 15, p. 222).[116] See Émilie Du Châtelet’s interpolation in her translation of Mandeville’s Fable, paragraph 66: “Le bien de la societé est à la verité, le seul criterium du vice et de la vertu.”